Village en vie : quand la terre natale renaît entre traditions et espoirs d’avenir

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Jean était revenu dans son village natal avec sa femme Sophie pour un triste motif : cela faisait neuf jours que sa mère était partie. Ils étaient allés au cimetière, puis avaient partagé un repas avec quelques voisins dans la cuisine de la maison familiale, pour un moment de recueillement. Après le départ des convives, seule Madame Louise, une vieille voisine appuyée sur sa canne, s’était attardée un instant. D’une voix faible, elle murmura :

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— Bientôt, il ne restera plus personne ici. Le village s’éteint… Et pourtant, on voudrait tant qu’il vive encore… Ah Jean… Toi aussi, un jour, tu partiras, et la maison finira par tomber en ruine. Quel malheur…

— Pourquoi tomberait-elle en ruine ? — répondit Jean, avec fermeté. — Nous reviendrons régulièrement, je ne laisserai pas la maison familiale tomber dans l’oubli. J’ai bientôt cinquante ans, il faut déjà penser à l’avenir, à la vieillesse. Peut-être qu’avec Sophie, nous finirons nos jours ici, au village…

Madame Louise le regarda longuement, secoua la tête avec tristesse, puis, après s’être signée devant l’icône accrochée au mur, lui fit un signe de la main avant de sortir.

Les paroles de la vieille dame lui transpercèrent le cœur, car elles résonnaient avec celles de sa défunte mère.
« Ah, ces anciens… » pensa-t-il. « Ils s’accrochent au passé, à leurs vieilles maisons, à cet air de la campagne… Mais que leur reste-t-il ? »

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Pendant ce temps, Sophie, qui faisait la vaisselle, supposa que Jean avait simplement répondu avec tristesse, mais elle était persuadée qu’au fond, il finirait par vendre la maison dans un an.

Quelques minutes plus tard, elle trouva son mari assis sur le perron, le regard perdu dans le vide.

— Jean, qu’est-ce qui ne va pas ? Ne t’attriste pas ainsi… — dit-elle en s’asseyant à ses côtés, posant une main réconfortante sur son épaule. — Nous finirons tous par partir un jour… C’est la vie…

— Je sais bien, je ne suis plus un enfant. Mais je ne veux pas que la maison de mes parents, ni ce village, disparaissent. Ça fait mal de penser qu’il n’y aura plus personne pour venir ici… — répondit-il.

Ils restèrent silencieux un moment, puis Jean se redressa :

— Écoute, je vais rester ici toute la semaine de mes congés. Toi, retourne en ville, au travail. J’ai besoin d’être là, de vérifier la maison, de réfléchir à notre avenir…

— Quel avenir ? — demanda Sophie, intriguée.

— Pour l’instant, je ne sais pas encore… Je te tiendrai au courant. Appelle Marc, mon frère, qu’il vienne avec sa femme. Ils pourront se reposer un peu, tant que la route est encore praticable avant l’automne.

Le lendemain, Sophie reprit le chemin de la ville. Mais quelques jours plus tard, un incendie éclata dans le village. Madame Louise avait allumé son bain de vapeur comme d’habitude, mais la vieille chaudière défectueuse provoqua une épaisse fumée noire. Quand elle s’en aperçut, il était déjà trop tard : la petite bâtisse flambait. Heureusement, la maison était éloignée, ce qui empêcha le feu de se propager.

Jean arriva rapidement sur place, mais les flammes avaient déjà tout consumé, ne laissant que la vieille chaudière carbonisée.

Madame Louise, en pleurs, tremblait de peur. Jean et les voisins tentèrent de la rassurer d’une seule voix :

— Heureusement, ce n’est que la buanderie, pas la maison. Mais comment as-tu pu laisser ça arriver ? Il aurait fallu réparer cette chaudière depuis longtemps, voire en poser une nouvelle…

— C’est vrai, c’était nécessaire, mais je remettais toujours au lendemain… Je suis une vieille étourdie… — sanglotait-elle.

Jean la prit dans ses bras :

— Le principal, c’est que tu sois saine et sauve. Prie pour ça. On veillera mieux à la sécurité à l’avenir.

Ce sinistre fut pour Jean un signe. Le lendemain, il inspecta la maison de Louise, vérifia les conduits de cheminée des foyers sur le grenier, puis passa la sienne au peigne fin pour détecter tout danger.

— L’hiver approche… Je vais appeler un ramoneur pour nettoyer les cheminées avant qu’il ne soit trop tard, — annonça-t-il aux voisines.

Pendant plusieurs jours, le ramoneur parcourut le village, s’occupant consciencieusement de chaque maison. Les villageois remercièrent chaleureusement Jean pour cette initiative.

— On a vraiment besoin d’un homme comme toi, dynamique. Le village manque d’hommes actifs. Ici, il ne reste plus que des retraités et quelques résidences secondaires. Nous ne sommes plus qu’une quinzaine de maisons. Tu ne resterais pas, Jean ?

Jean sourit et hocha la tête. Il se rendait compte qu’il ne voulait pas retourner en ville. Ici, même si le confort n’était pas celui de la ville, tout était plus vrai, plus chaleureux, une vraie communauté.

Le village était à seulement cinq cents mètres de la route principale, mais la piste en terre battue était en mauvais état. Pendant sa semaine sur place, Jean s’occupa auprès des autorités locales pour obtenir l’entretien régulier de la voie.

— Pourquoi notre village se vide-t-il ? — expliqua-t-il à l’administration. — Parce qu’on ne peut pas sortir en temps de pluie. Même à peine un demi-kilomètre, mais impraticable. Si la route était meilleure, les gens achèteraient les maisons ici, la ville est proche, la nature belle !

Il recueillit les signatures des habitants et déposa une demande officielle. La mairie promit d’agir rapidement.

Les habitants se réjouirent de l’énergie nouvelle apportée par Jean, et à l’unanimité, ils l’élurent maire du village. Il rit, mais pensait déjà à la maison voisine, vide, à droite de la sienne.

— À quoi te servent deux maisons, Jean ? — s’étonnèrent les villageois quand ils apprirent qu’il avait racheté la petite maison voisine à prix modéré, les anciens propriétaires vivant désormais en ville.

— Je vais inviter la sœur de Sophie et son mari à venir s’installer ici. Ils aiment ce coin, ils en parlent souvent. Ce sera une surprise. Je les appellerai bientôt pour qu’ils viennent voir.

Au début, les voisins doutaient que la route soit améliorée, que des maisons soient réinvesties, mais grâce à Jean, les choses bougèrent enfin.

— Tu penses qu’il tiendra longtemps, notre Jean ? — murmuraient les dames âgées, lors des soirées à la veillée.

— Moi, j’ai confiance en lui — répondit simplement et chaleureusement Madame Louise. — Je le connais depuis son enfance, on connaît tous le caractère de ses parents. Il faut le soutenir, pas douter.

— C’est vrai… La famille a commencé à rénover la maison voisine, elle vient chaque week-end. Peut-être qu’elle s’installera aussi, comme Jean. Lui, il reste ici, même s’il va travailler en ville et emmène Sophie avec lui.

Sophie pensait d’abord que son mari ne tiendrait pas ce rythme entre deux maisons, mais au printemps, quand il se mit à préparer le potager, à refaire la clôture et changer les fenêtres, elle comprit qu’il était sérieux.

— Toi, tu devrais ralentir un peu au travail en ville, ici il y a assez à faire — lui demanda-t-il. — Occupe-toi du jardin, on pourrait même avoir des poules, ce serait dommage de laisser le terrain vide.

Sophie écouta Jean. D’autant que sa sœur et son mari, qui vivaient déjà ici depuis le début du printemps, avaient pris leur retraite et profitaient du calme.

Après la fonte des neiges, la route s’assécha enfin, et la mairie fit venir un niveleuse pour répartir du gravier frais. Pendant plusieurs jours, le bruit du moteur anima le village, pour le plus grand bonheur des habitants.

— Voilà, maintenant la route est plus solide. Le passage sera plus facile ! — cria Jean à travers le village, ses paroles semblant une chanson.

Bientôt, des acheteurs s’intéressèrent aux maisons vides. Deux nouvelles maisons furent rapidement habitées par des familles venues grâce au bouche-à-oreille. Madame Louise racontait aux voisines :

— Je vous l’avais bien dit, les filles ! Le village grandit à nouveau. Hier, encore, quelqu’un est venu visiter une maison. Bientôt, il n’y aura plus de maisons vides ! La ville est proche, il y a une petite rivière, et la forêt juste à côté, avec ses baies et champignons. Que demander de mieux ?

— C’est vrai, mais il faudrait aussi que des jeunes viennent vivre ici, — répondaient les voisines. — Pas seulement des vieux et des résidents secondaires.

Comme si le ciel avait entendu ces souhaits, une jeune famille acheta la dernière maison au bord de la rivière. Constantin, le père, décida de devenir agriculteur. Il loua quelques hectares et monta une petite ferme de chèvres. Bientôt, les villageois commencèrent à acheter du lait frais aux nouveaux éleveurs.

— Ah, soupirait Madame Louise, j’ai moi aussi eu une chèvre autrefois. J’aimerais tant m’en occuper à nouveau… Mais maintenant, c’est compliqué. Heureusement, les jeunes ont des bons boucs, et Constantin est vétérinaire. Il veille bien sur les animaux.

Jean aimait beaucoup Madame Louise. Elle venait se laver au bain avec Sophie les samedis.

— Le lait de chèvre, c’est le plus sain — disait-elle à Sophie — J’aimerais bien qu’on ait au moins deux chèvres à la maison. Je m’en occuperais, je les nourrirais, les trairais. Mais si je tombe malade, ce serait dur pour moi.

— Alors, ne vaudrait-il pas mieux prendre le lait directement chez Constantin ? — demanda Sophie.

— Oui, c’est plus simple, mais il ne faut pas être paresseux. Et puis, les chèvres sont intelligentes et affectueuses…

— Je comprends, Madame Louise… — répondit Sophie avec un sourire.

Une semaine plus tard, Sophie entendit un bêlement dans le jardin de Madame Louise. En regardant par la fenêtre, elle fut surprise de voir Jean avec une chèvre.

— Alors, qui a commandé cette amie pour notre grande famille ? — demanda-t-il en souriant.

Sophie apparut à son tour, en riant, et embrassa Madame Louise :

— Voici ta nouvelle amie. Installe-la dans ta cour, on va chercher du grain, prépare les seaux et les bols. Elle a même un collier et un nom : Biscotte. Si elle s’ennuie, on lui ramènera une copine. C’est convenu avec Constantin.

Madame Louise s’exclama, s’affaira, tandis que la chèvre, après avoir reçu un peu d’herbe, semblait déjà s’acclimater, réchauffée par l’odeur des miettes de pain sur Madame Louise.

— On peut dire que la branche de la ferme caprine est officiellement ouverte ! — annonça fièrement Jean.

— Combien elle coûte ? — s’inquiéta la vieille dame.

— Peu importe. Ce n’est pas ton souci. Tu as un nouveau rôle maintenant. Mais ne te fatigue pas trop. Si tu es fatiguée, Sophie ira se promener avec Biscotte, — dit Jean en souriant, Sophie acquiesçant.

Ainsi commença une nouvelle vie à La Petite Commune. Trois ans plus tard, plusieurs maisons modernes furent construites, formant une rue qui menait à la forêt, baptisée la rue des Bois.

Les grand-mères ne regrettaient plus le passé glorieux du village, mais se réjouissaient des jeunes familles, et de la chaleur de Jean, dont l’initiative avait fait renaître leur village. Jean prit sa retraite et ouvrit un petit commerce près de chez lui, pour que les habitants n’aient plus à aller en ville, surtout les plus âgés.

Madame Louise et Sophie s’occupaient ensemble des chèvres Biscotte et Margot. Les petits chevreaux étaient donnés à Constantin en échange du lait.

— Voilà le temps venu… — ne cessait de répéter Madame Louise en louant Jean et Sophie. — Vous êtes comme de la famille pour moi. Vraiment la famille.

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