Lorsque j’ai franchi le seuil de mon bureau pour la toute dernière fois, après trois décennies de travail, une vague étrange m’a submergée. Un mélange d’euphorie et de vertige. Le soulagement d’être enfin libre, délestée des contraintes et des horaires. Mais aussi un profond désarroi. Du jour au lendemain, tous mes repères s’étaient envolés. Finis les réveils à l’aube, les réunions à enchaîner, les trajets interminables… En théorie, c’était le rêve. Pourtant, au fil des jours, un silence inhabituel s’est installé — un silence qui pesait lourd.
Je me suis d’abord lancée dans un tourbillon domestique : trier les papiers, astiquer chaque recoin, réorganiser les placards. Mais très vite, j’ai compris que cette agitation ne masquait rien. Pire : elle mettait en lumière le vide intérieur. Je me sentais mise sur la touche, comme un livre qu’on repose sur l’étagère après usage.
Et puis un matin, sans rien prévoir, je me suis assise dans mon vieux fauteuil, une tasse de thé brûlant entre les mains. Je suis restée là, simplement. À regarder les feuilles frissonner dans les arbres, la lumière douce percer les nuages, à écouter le chant discret des oiseaux. Et j’ai eu une pensée inattendue : Je n’ai plus rien à prouver. Je peux enfin être… moi.
Ce jour-là, j’ai ouvert ce roman qui dormait depuis trop longtemps sur ma table de chevet. J’ai lu lentement, comme on savoure une madeleine. Chaque mot était une brise fraîche, chaque page tournée une respiration. C’était comme retrouver une part de moi-même que j’avais laissée derrière.
Petit à petit, j’ai repris mes promenades. Les premières furent laborieuses, mais elles sont vite devenues essentielles. Le petit sentier au bord de l’eau est devenu mon sanctuaire. M’asseoir sur un banc et sentir le vent sur mon visage valait mille discours.
J’ai découvert que le bonheur se cache dans les détails simples. Le moelleux d’un plaid en fin de journée, l’odeur rassurante d’un gâteau qui cuit, un appel chaleureux d’une amie, les notes d’un vieux disque qui tournent doucement en arrière-plan. Ne rien faire par devoir, mais tout par envie. Sans se justifier. Sans se culpabiliser.
Parfois, mes enfants me demandent : « Tu ne t’ennuies pas, maman ? » Non. Pour la première fois, j’ai le droit d’être moi, sans rôle à jouer. Ni mère, ni employée, ni épouse — juste une femme qui réapprend à vivre.
J’ai commencé à écrire. Un journal de pensées, de souvenirs, d’idées à explorer. Quelques lignes pour mes petits-enfants, et d’autres juste pour moi. Pour garder une trace, pour me rappeler que chaque jour compte.
Je n’ai plus peur de vieillir. J’ai appris à aimer la lenteur des jours simples. Si vous me lisez et que vous aussi vous redoutez ce grand vide, retenez ceci : la retraite n’est pas une fin, c’est une page blanche. Une liberté nouvelle. Offrez-vous le droit d’être heureux. Vraiment. Pas pour les autres. Pour vous.