Max et la fille silencieuse : Une enchère émotive pour le dernier lien avec sa mère

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Le marché du village de Saint-Luc se sentait toujours bruyant, collant, et un peu trop vaste pour quelqu’un de petit et silencieux comme Camille Laurent. Le soleil d’été pesait lourdement sur les gravillons, transformant chaque particule d’air en une chaleur épaisse et éclatante. Les manèges tournaient derrière les étables à bétail.

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Les vendeurs criaient pour attirer l’attention, vantant le maïs soufflé et les tickets de tombola, et un marteau résonnait de loin, depuis le pavillon principal, où l’événement de la journée allait se dérouler. Camille, elle, n’avait que neuf ans. Elle n’avait pas échangé un mot avec une âme vivante depuis le mois de décembre dernier, le jour où deux policiers en uniforme étaient venus à la maison et avaient brisé son monde en mille morceaux.

Sa mère, l’Officière Claire Laurent, était partie. Tuée en service, avait dit le journal, partie de manière à ne laisser aucune place aux questions ni à l’espoir. Depuis ce jour, Camille avait cessé de parler, son âme s’étant retirée dans un coin qu’elle ne pourrait plus atteindre.

Mais ce matin-là, Camille s’était réveillée avant l’aube, une douleur familière dans sa poitrine, plus vive qu’à l’habitude. Elle se dirigea directement vers le vieux bocal en verre où elle mettait des pièces depuis qu’elle pouvait se souvenir. Les pièces de ses anniversaires, les pièces de ses ventes de limonade, les pièces de monnaie que sa maman lui donnait parfois comme récompense.

Elle les compta deux fois. Cinquante et un euros, et quelques pièces. Elle serra le bocal dans son sac à dos et attendit près de la porte.

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Marie, la femme de sa mère, avait essayé de l’en dissuader. “Camille, chérie, tu n’es pas obligée d’aller à cette vente aux enchères”, avait-elle dit, se baissant devant elle avec ses yeux fatigués, qui étaient jadis si brillants. “Ce n’est pas ce que tu veux.”

“Viens, allons manger des crêpes, d’accord ?” Mais Camille secoua simplement la tête. Ses yeux se posèrent sur l’alliance de Marie, qui brillait faiblement sous la lumière du matin.

Cette bague semblait désormais trop grande, glissant sur un doigt qui tremblait. Pourquoi, lui, Thomas, le compagnon de sa mère, se tenait-il en arrière, tripotant son téléphone, essayant de ne pas paraître nerveux ? Il n’avait pas su comment l’aider depuis l’enterrement, à part dire des choses comme “Il faut avancer, ma grande” ou “Tu ne peux pas arrêter de vivre.”

Parfois, Camille le détestait pour cela. Parfois, elle n’avait pas assez de haine en elle pour s’en soucier. Ils roulèrent en silence, la vieille voiture de Marie sautillant sur la route du village, chaque bosse faisant frémir les bras de Camille.

Quand ils arrivèrent, Marie se pencha vers elle. “Quoi qu’il arrive, je t’aime, tu sais ?” Camille fixa ses genoux, l’esprit trop lourd pour répondre. La portière claqua et les odeurs du marché frappèrent ses narines d’un coup.

Pop-corn, foin, sueur et métal brûlé. À l’intérieur du pavillon, les gens se dispersaient sur des bancs en bois, face à une petite scène. Quelques policiers en uniforme se tenaient à l’avant, l’air mal à l’aise.

À gauche, une seule cage métallique se trouvait sous une pancarte artisanale : “Vente aux enchères du chien retraité.” Là, c’était lui. Max. Là, le dernier morceau de sa mère qui lui semblait encore réel.

Pas un souvenir, pas une photo. Max, avec son pelage fané autour du museau, ses yeux aussi sombres et perçants que jamais. Il était assis comme s’il était le maître des lieux, mais sa queue ne bougeait presque pas.

Il balaya la foule du regard une fois, puis fixa son regard, comme un instinct, sur Camille. Elle sentit un frisson la traverser. Depuis des mois, elle n’avait ressenti la vie que la nuit, murmurant à Max à travers la barrière derrière le commissariat, après que tout le monde soit rentré chez soi.

Elle lui confiait des secrets, disait combien ça faisait mal, et parfois encore, elle attendait que sa mère franchisse la porte. Max ne répondait jamais, mais il écoutait. Cela suffisait.

Un homme en costume bleu impeccablement repassé appela à l’attention, sa voix trop joyeuse. “Aujourd’hui, mesdames et messieurs, vous pouvez acquérir un morceau de l’histoire de Saint-Luc. Max, cinq ans de service, retraité après le décès de l’Officière Laurent.”

“Il cherche un nouveau foyer. Montrons-lui de l’amour, d’accord ?” Camille serra le bocal contre elle si fort que le verre lui mordit la paume. Marie posa une main sur son épaule, douce, mais Camille se détourna.

Elle scruta la foule. La plupart des gens étaient simplement curieux, des locaux qui se souvenaient de sa mère, ou qui appréciaient un bon spectacle. Mais au premier rang, elle aperçut deux hommes qui ne semblaient pas à leur place.

L’un était grand, aux cheveux argentés, portant une chemise blanche impeccablement repassée et un sourire de prédateur. Vincent Durand, propriétaire de “Durand Sécurité”, une enseigne qu’elle voyait sur les panneaux publicitaires, toujours avec le slogan “La sécurité, c’est notre priorité.” L’autre était plus rugueux, en chemise en jean sale, le visage bronzé et marqué par les années.

Gérald “Jerry” Berthier, un fermier de l’autre côté de la vallée. Tous deux observaient Max avec une soif qui faisait se tordre l’estomac de Camille. Elle tenta de ne pas regarder Vincent, mais ses yeux se tournaient vers elle, froids et évaluateurs.

Berthier, pour sa part, jetait à peine un coup d’œil en sa direction, mais sa mâchoire se contractait de temps à autre, comme s’il mâchait quelque chose entre ses dents. Le commissaire leva le marteau. “Nous commencerons les enchères à 500 euros.”

“Quelqu’un dit 500 ?” Le cœur de Camille battait à tout rompre. Cinq cents euros. Ses pièces semblaient incroyablement petites dans son sac maintenant.

Marie se déplaça derrière elle, mal à l’aise. Max observait, les oreilles dressées, tandis que les enchères commençaient. Un homme en casquette lança “500 euros.”

Vincent leva un doigt, “1000 euros.” Berthier ne tarda pas à répondre, “1500 euros.” Les prix montaient rapidement, les voix s’élevant, l’air devenant plus lourd, plus tendu.

Camille fit un pas en avant, tout juste. Le marteau était suspendu dans la main du commissaire. “Des enchères supplémentaires ?” Sa voix, si longtemps ignorée, s’éleva dans sa gorge comme un fantôme, mais elle se força à avancer, les pièces tintant.

Ses pieds semblaient lourds, sa poitrine serrée. Elle leva son bocal. “Je veux faire une offre”, murmura-t-elle.

La pièce se tut un instant. Le commissaire la regarda avec une douceur qui fit mal. “Chérie, quelle est ton offre ?” Camille tendit le bocal avec les deux mains, “52 euros et 16 centimes.” Quelqu’un dans la foule éclata de rire, de manière cruelle et moqueuse.

Vincent sourit en coin. Le commissaire s’agenouilla, prit le bocal comme s’il s’agissait de quelque chose de précieux. “Merci, ma petite.”

Mais il secoua la tête, doucement mais fermement. “Ce n’est pas assez.” Max émit un gémissement faible et douloureux.

Pendant un instant, ce son sembla flotter dans les poutres, tirant sur quelque chose de profond chez chaque personne dans la salle. Camille avait envie de crier, de fuir, ou de faire n’importe quoi d’autre que de rester là, sous les regards de tout le monde, échouant. Elle se retourna, prête à fuir, mais Max aboya une fois, fort et autoritaire.

La foule se tut. Dans ce silence, Camille comprit qu’elle ne faisait pas seulement une offre pour Max. Elle faisait une offre pour le dernier morceau de sa mère qu’elle pouvait toucher, le seul endroit où elle pouvait verser les mots qu’elle avait perdus.

Dehors, le soleil continuait de briller, et les bruits du marché se poursuivaient. Mais à l’intérieur du pavillon, tout s’était resserré autour d’une petite fille, d’un bocal de pièces, et du regard persistant d’un vieux chien, tous deux attendant que le monde leur accorde un endroit où ils pouvaient appartenir, ensemble.

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