Une vieille dame vendait des herbes devant notre immeuble… Jusqu’au jour où j’ai vu sa photo à l’hôpital et découvert un passé bouleversant.
Chaque matin, en sortant de chez moi, je passais devant une grand-mère assise à l’entrée de l’immeuble. Courbée, silencieuse, emmitouflée dans une vieille parka et un bonnet tricoté, elle était installée sur une chaise pliante usée, avec quelques bottes d’aneth posées à ses pieds. Pendant plusieurs jours, je l’ai vue là, stoïque sous le vent ou le soleil, et j’ai ressenti une pointe de peine pour elle. J’avais envie de l’aider, d’adoucir un peu sa routine, mais sans lui faire sentir que c’était par pitié.
Alors j’ai décidé de lui acheter un peu de verdure. Rien de spectaculaire — juste un bouquet d’aneth, parfois du persil. C’était un petit geste, mais il semblait lui faire plaisir.
Elle était toujours là, fidèle à son poste, dès l’aube. L’été, elle apportait des herbes fraîches de son potager, l’hiver, elles venaient d’une petite serre. Elles étaient toujours incroyablement parfumées, comme tout juste cueillies.
Au début, j’achetais par compassion. Mais rapidement, j’ai commencé à l’apprécier sincèrement. Elle avait quelque chose de digne, malgré son apparence frêle. Elle ne devait pas être loin des quatre-vingts ans, mais elle gardait une certaine prestance.
On échangeait quelques mots de temps en temps : la météo, les prix du marché, les ragots du quartier. Un lien discret, mais sincère.
Puis, un jour où j’étais malade, je me suis rendue à l’hôpital. En attendant mon tour, je regardais distraitement un panneau d’affichage dans le couloir. Et là… j’ai figé.
Sur le mur, une photo encadrée. C’était elle. Ma vendeuse d’aneth. En blouse blanche, calotte chirurgicale sur la tête.
La légende disait :
« Zinaïda Petrovna M. – Médecin émérite de la RSFSR, chef chirurgienne de l’hôpital municipal n°3 de 1969 à 1992. »
J’ai dû m’approcher pour y croire. C’était bien elle. J’étais bouleversée.
Le lendemain, je suis retournée la voir. Comme d’habitude, elle m’a saluée avec son petit sourire discret. J’ai pris un sachet d’herbes, et j’ai osé poser la question :
— Grand-mère… vous avez été médecin, n’est-ce pas ?
Elle s’est figée un instant, puis a hoché la tête, doucement, avec une tristesse paisible dans les yeux.
— Tu l’as vu… Où ça ?
— À l’hôpital. Il y avait votre photo au mur. Vous étiez chirurgienne ?
Un long silence s’est installé. Puis elle a murmuré :
— Oui… je l’ai été. Mais tout ça est derrière moi. Les gens ont oublié, et moi, je n’ai plus besoin de reconnaissance. Ce que je cherche maintenant… c’est juste un peu de chaleur humaine.
J’avais la gorge nouée. Et elle a continué, d’une voix calme :
— J’ai perdu mon mari. Puis mon fils. Ma maison est devenue vide. Et la vie aussi. Alors je viens ici, avec mes herbes. Ça me donne une raison de sortir, de parler, de me sentir encore utile.
Je lui ai demandé pourquoi elle ne se reposait pas un peu.
Elle a souri :
— Parce que si je reste chez moi, je m’effondre. Et puis, je ne me plains pas. J’ai un toit, ma retraite suffit. Je n’ai besoin que de ça : sentir que je ne suis pas totalement seule.
Ce jour-là, j’ai compris que certaines histoires incroyables se cachent derrière les visages les plus simples.