Dans un lycée huppé de la ville, les élèves issus de familles aisées se moquaient ouvertement d’Élodie, la fille de la femme de ménage.
— « Eh, Élodie, c’est vrai que ta mère a nettoyé les vestiaires hier ? » lança Antoine, appuyé sur son pupitre, attendant que le silence règne dans la classe.
Élodie s’arrêta net, incapable même de ranger son livre dans son sac. Un silence pesant s’installa, tous les regards se tournèrent vers elle.
— « Oui, ma mère travaille au nettoyage de l’école, » répondit-elle calmement en continuant de ramasser ses affaires. « Et alors ? »
— « Rien, » ricana Antoine. « Je me demandais juste comment tu comptes venir au bal de fin d’année… En bus avec un seau et des chiffons ? »
La classe éclata de rire. Élodie posa son sac sur son épaule sans un mot et se dirigea vers la sortie.
— « Ta mère n’est qu’une femme de ménage ! Accepte-le ! » hurla Antoine derrière elle.
Mais Élodie ne se retourna pas. Elle avait appris depuis longtemps à ignorer ces moqueries. Depuis son arrivée dans ce prestigieux lycée grâce à une bourse destinée aux élèves méritants, elle avait compris que là-bas, seule la richesse et le statut comptaient. Or, elle ne possédait ni l’un ni l’autre.
Sa mère, Madeleine, attendait Élodie à l’arrière de l’école. À trente-neuf ans, son visage portait les marques de longues années de travail difficile. Elle portait une veste simple, un jean usé, et ses cheveux étaient rassemblés en un chignon négligé.
— « Tu as l’air fatiguée aujourd’hui, ma chérie, » remarqua Madeleine en marchant vers l’arrêt de bus.
— « Ça va, maman. Juste un peu fatiguée, on a eu un contrôle de maths, » répondit Élodie en mentant.
Elle ne voulait pas inquiéter sa mère à propos des moqueries qu’elle subissait. Madeleine enchaînait les emplois du matin au soir : au centre administratif le matin, à l’école à midi, puis au supermarché le soir. Tout cela pour permettre à Élodie d’étudier dans une bonne école, de suivre des cours supplémentaires et de préparer son avenir universitaire.
— « Je serai libre mercredi prochain, ça te dirait qu’on fasse quelque chose ensemble ? » proposa Madeleine.
— « Oui, maman, sauf mercredi, j’ai un cours de rattrapage en physique, » répondit Élodie, en taisant qu’elle travaillait en réalité comme serveuse dans un café du quartier, avec un salaire modeste mais suffisant pour commencer.
Plus tard, assis au café de l’école, Antoine confia à ses amis :
— « Je parie que si la mère d’Élodie n’arrive pas au bal dans une vraie voiture, je présenterai mes excuses publiquement. »
— « Et si elle vient en taxi ? » demanda Louise, entre deux bouchées de son sandwich.
— « Le taxi ne compte pas, je parle d’une voiture correcte, genre berline de moyenne gamme. »
— « Marché conclu ! » conclut Maxime en serrant la main d’Antoine.
Élodie, cachée derrière un coin avec un plateau de vaisselle sale, entendait tout sans qu’ils ne la voient.
Cette nuit-là, elle eut du mal à trouver le sommeil. Arriver au bal dans une voiture « digne de ce nom »… c’était sa chance de faire taire Antoine et sa bande. Mais où trouver l’argent ? Louer même la voiture la moins chère avec chauffeur coûtait plus qu’un mois de salaire au café.
Au centre d’affaires « Mercure », Madeleine commençait sa journée à six heures, quand les bureaux étaient encore vides. Avant huit heures, elle devait avoir nettoyé les couloirs et les toilettes pour ne pas gêner les employés.
— « Bonjour, Madeleine ! » entendit-elle alors qu’elle frottait les portes vitrées du bureau « Auto Prestige » au troisième étage.
Le propriétaire, Monsieur Durand, arrivait toujours très tôt, vers huit heures.
— « Bonjour, Monsieur Durand, » répondit-elle timidement. La plupart des employés ne remarquaient même pas les femmes de ménage, mais lui la saluait toujours en l’appelant par son prénom.
— « Comment va ta fille ? Elle se prépare pour le bal ? » demanda-t-il en ouvrant la porte avec sa carte magnétique.
— « Oui, il reste exactement un mois. Le temps passe vite, » répondit Madeleine avec un sourire.
— « Mon fils Julien aura aussi son diplôme l’année prochaine, mais il préfère les voitures aux études. »
Madeleine sourit doucement. Monsieur Durand lui racontait souvent avec fierté qu’il élevait seul Julien depuis que sa femme les avait quittés quand le garçon avait huit ans.
— « Aujourd’hui, nous avons des réunions importantes. Pourrais-tu aussi nettoyer la salle de réunion après le déjeuner ? Je te paierai un extra. »
— « Bien sûr, aucun problème, » répondit-elle.
Pendant deux semaines, Élodie travailla sans presque prendre de repos. Entre les cours, son job au café et la préparation de ses examens, elle comptait chaque centime, mais le budget nécessaire était encore loin.
Un samedi soir, alors qu’elle rentrait chez elle sous une pluie battante, Élodie était trempée à l’arrêt de bus. Soudain, un SUV noir s’arrêta à côté d’elle.
— « Tu veux que je te dépose ? » demanda un jeune homme au volant, baissant la vitre.
Élodie hésita : monter dans une voiture avec un inconnu n’est jamais sûr.
— « Tu es Élodie Dupont, n’est-ce pas ? Je m’appelle Maxime Lefebvre. Mon père, Monsieur Durand, travaille avec ta mère. »
Elle le dévisagea attentivement : jeans, t-shirt, coupe courte, rien de particulier.
— « Monte, ne t’inquiète pas. Je devais justement aller chercher notre technicien informatique. »
La voiture était chaude. Sur la banquette arrière se trouvait un homme d’âge moyen avec un ordinateur portable.
— « Tu es en quelle classe ? » demanda Maxime en reprenant la route.
— « Terminale. Le bal est dans un mois. »
— « Moi, je suis en première, au lycée numéro vingt. »
Ils arrivèrent rapidement. Quand Élodie descendit, Maxime lui tendit une carte de visite.
— « C’est ma chaîne en ligne, je parle d’automobiles. Tu pourrais aimer. »
Fin avril, Madeleine remarqua que sa fille rentrait de plus en plus tard.
— « Élodie, ça ne va pas ? Tu es nerveuse, » lui demanda-t-elle.
Élodie soupira : cacher la vérité n’avait plus de sens.
— « Maman, je travaille à temps partiel au café « Chez Michèle ». »
— « Pourquoi ? Tu as les examens qui approchent ! »
— « Je voulais t’offrir un cadeau pour le bal : une belle robe, des chaussures… » Elle ne parla pas de la voiture.
Madeleine la serra dans ses bras.
— « Mon trésor, les cadeaux ne servent à rien. J’ai déjà ma robe. Concentre-toi sur tes études. »
Mais Élodie ne renonça pas : le lendemain, elle retourna au café et, pendant ses pauses, chercha sur Internet la location d’une voiture. Trop cher.
Cette soirée-là, alors qu’elle débarrassait une table, un homme d’une cinquantaine d’années en costume s’approcha.
— « Excuse-moi, tu es Élodie Dupont ? » demanda-t-il.
— « Oui… » répondit-elle prudemment.
— « Je suis Paul Martin, l’assistant de Monsieur Durand. Il m’a demandé de te remettre ça, » dit-il en lui tendant une enveloppe.
Élodie ouvrit et, surprise, découvrit un contrat de location d’une limousine pour la soirée du bal, avec chauffeur, ainsi qu’un billet de l’agence « Auto Prestige » avec une note manuscrite : « Parfois, il suffit d’accepter de l’aide. Bonne chance, Élodie. — P. M. »
Les larmes lui montèrent aux yeux : elle ne croyait pas aux miracles, mais celui-ci en était un vrai.
Le jour du bal fut chaud et lumineux. Devant l’entrée du lycée, les élèves élégamment vêtus s’agglutinaient, montant dans les voitures de leurs parents ou dans des taxis. Antoine arriva dans le 4×4 de son père et regarda aussitôt qui arrivait en grande pompe.
Puis un moteur rugit : une limousine blanche authentique fit son entrée dans la cour. Le silence tomba. La portière s’ouvrit, et d’elle sortit Élodie, vêtue d’une robe bleue élégante, les cheveux parfaitement coiffés. À ses côtés, sa mère, en tenue simple mais raffinée.
Les bouches des camarades s’ouvrirent d’étonnement. Antoine pâlit.
Élodie passa devant lui, la tête haute.
— « Alors, Antoine ? » lui sourit-elle. — « Il est temps de présenter tes excuses. »
Le garçon baissa les yeux.
— « Je suis désolé… pour toi et pour ta mère, » murmura-t-il.
Élodie hocha la tête. Aucun autre mot n’était nécessaire.
Cette soirée restera gravée dans sa mémoire. Non pas parce qu’elle était arrivée en limousine, mais parce qu’elle avait compris que la dignité ne se mesure pas en argent, mais dans la force de ne jamais abandonner.