Sophie avait découvert par hasard que son mari allait partir. Un jour, en rentrant plus tôt que prévu, elle le surprit en train de faire quelque chose d’inhabituel : pour la première fois, il préparait lui-même sa valise.
Elle entra discrètement dans la pièce et l’observa quelques instants, tandis qu’il tâtonnait pour plier un t-shirt et un short. Visiblement maladroit, il peinait à organiser ses affaires. Sophie ne put s’empêcher de sourire et de s’approcher pour l’aider.
— Laisse-moi faire, ce n’est pas vraiment comme ça qu’on plie, non ? murmura-t-elle doucement en passant derrière lui. Il sursauta, étonné.
— Sophie ?!
— Quoi ?! répondit-elle en attrapant les vêtements éparpillés pour les ranger dans la valise. Il n’eut même pas le temps de lui dire où il allait. — Tu repars encore ? Tu veux que je te prépare des crêpes pour le voyage ?
— Eh bien… je ne dirais pas non…
— Parfait, je vais enfiler mon peignoir.
Pendant qu’elle chantonnait doucement, lui fouillait les tiroirs pour rassembler ce qui pourrait lui être utile. L’appartement était à elle, et il savait qu’il ne pourrait emporter que ce qui rentrait dans cette valise.
— Dix crêpes, ça ira ?
— Oui, merci.
— Tu veux du sirop d’érable ou de la confiture ?
— De la crème fraîche, si possible.
Sophie sortit une boîte de crème du frigo, mais avant de l’ouvrir, elle posa enfin la question qui lui brûlait les lèvres :
— Tu pars loin ? La crème va-t-elle tenir ?
— Non, juste à côté… chez une autre femme.
Au début, Sophie ne comprit pas. Puis, lentement, la réalité la frappa.
— Pardon ?
— Oui… Je pars… chez quelqu’un d’autre. Je vais demander le divorce. Merci pour les crêpes.
Il hésita un instant, attrapa la boîte et se dirigea vers la porte. Sophie resta figée, poêle en main.
Quand elle réalisa ce qui venait de se passer, elle courut dehors, toujours en peignoir et tablier, avec la poêle encore chaude. Mais il avait déjà chargé ses affaires dans un taxi et disparu avant qu’elle ne puisse réagir.
Elle rentra chez elle, le cœur lourd. La poêle refroidissait, et la crème commençait à tourner, comme son humeur sous le soleil d’été.
— Il m’a quittée pour une autre ! Et moi, je lui préparais tout… — sanglotait-elle au téléphone avec sa meilleure amie.
— Quoi ?! s’exclama celle-ci.
Sophie raconta tout, entrecoupée de pleurs.
— Il est parti ! Comment je vais faire maintenant ?!
— Comme tout le monde, Sophie. Tu t’en sortiras.
— Mais je n’y arriverai pas seule !
— Si, tu peux.
— Non !
— Alors va chez ton fils.
— Je serai de trop là-bas.
— Prends un chien.
— Mon mari est allergique aux poils…
— Il t’a quittée ! Peu importe ses allergies !
— Et s’il revenait ? — demanda Sophie, l’espoir dans la voix. Sa meilleure amie lui donna alors une leçon sur l’indépendance, surtout après cinquante ans, et sur le fait qu’il fallait savoir profiter de la vie même sans compagnon.
Mais ses paroles ne firent pas effet. Sophie ne trouvait pas la paix.
« Comment ai-je pu ne rien voir ? Il vivait une double vie… Peut-être que je ne lui consacrais pas assez de temps. Pourquoi ai-je pris ce cours de couture ? J’aurais dû rester à la maison, être plus présente », se reprochait-elle.
— Maman, arrête de pleurer ! J’ai vu papa, il avait l’air tellement content. Il parade comme un paon, avec son nouveau costume ! Et toi ? Tu te regardes ? Pas de coiffure, pas de manucure ! — Son fils, Jules, évaluait sa mère, alors qu’il ne s’intéressait jamais à son apparence auparavant. — Tiens, prends ça.
Il lui tendit quelques billets. Jules travaillait déjà et pouvait l’aider financièrement. Avant, elle refusait toujours son aide, mais cette fois, elle accepta.
— Si tu as besoin, dis-le-moi.
— Merci, mon fils.
Sophie prit rendez-vous chez le coiffeur, acheta du tissu pour une nouvelle blouse, choisit un parfum. Elle aimait changer d’odeur quand sa vie changeait. Ce parfum était frais, comme la brise marine. Elle aimait rêver en s’en aspergeant généreusement.
Peut-être que c’est pour ça qu’elle rencontra François.
— Il y a quelque chose dans votre parfum… — dit-il dans le bus. Sophie rougit, se demandant si elle avait oublié son déodorant, mais il ajouta : — C’est agréable. Quel est ce parfum ?
— Vous aimez ? — souffla-t-elle, heureuse de ce compliment inattendu.
— Oui ! Je travaille en parfumerie, et je n’avais jamais senti ça.
— C’est un parfum « ressourçant », créé sur mesure. Plusieurs huiles pour correspondre à mon humeur.
— Maintenant je comprends pourquoi je n’ai jamais senti ça ailleurs.
— Et vous, vous travaillez dans le parfum ?
— D’une certaine façon, oui. Je m’appelle François. Et vous ?
— Sophie. Oh, j’ai failli rater mon arrêt ! — Elle descendit rapidement.
Quelques jours plus tard, elle le croisa de nouveau dans le bus.
— Bonjour, Sophie !
— Bonjour…
— Je vous ai remarquée depuis un moment.
Sophie se tendit.
— Ce n’est pas fréquent de voir une femme aussi intéressante dans ce bus.
— Avant, mon mari m’emmenait au travail.
— Et maintenant ?
— On est divorcés.
— Alors vous êtes libre ?
Sophie haussa les épaules, arrivée à son arrêt.
— Donnez-moi votre numéro, je pars bientôt dans une autre ville, je veux rester en contact.
Elle hésita, puis lui donna son numéro.
Une semaine plus tard, François l’appela.
— Je voudrais vous inviter à dîner.
— Volontiers.
— Venez chez moi. C’est en banlieue.
— Ce n’est pas loin ?
— Non, je vis là-bas maintenant. Mon ex-femme a pris l’appartement et notre fils.
— Je comprends.
— Ça vous gêne ?
— Non.
— Je viens vous chercher.
Sophie décida de tenter l’aventure. François ne vint pas les mains vides : vin, salade, charcuterie.
Chez lui, elle rencontra sa mère, Madame Leclerc, une femme autoritaire au caractère bien trempé, qui ne lui facilita pas la tâche.
Durant le dîner, Madame Leclerc la chargea de multiples tâches et lui lança des piques sur son statut de divorcée, sa carrière, son âge.
Sophie resta digne, évitant les confrontations.
Le fils de François arriva tard, ignora Sophie, et Madame Leclerc ordonna à Sophie de préparer la table.
Fatiguée et déçue, Sophie quitta les lieux en promettant de ne plus revenir.
De retour chez elle, elle retrouva la sérénité et comprit qu’elle devait désormais penser à elle-même.
François tenta de la joindre plusieurs fois, mais elle préféra mettre un terme à cette relation.
Elle comprit enfin qu’il valait mieux être seule que mal accompagnée, entourée de tensions et de rancunes.