Sophie feuilletait avec enthousiasme un magazine culinaire, griffonnant des notes dans les marges. Une nouvelle recette de julienne à la française avait particulièrement attiré son attention.
« Il faudra que j’essaie avec des cèpes à la place des champignons de Paris », pensa-t-elle, imaginant déjà la surprise de son mari devant cette saveur inédite.
La cuisine avait toujours été sa passion.
Elle pouvait passer des heures à expérimenter, inventer de nouvelles saveurs. Récemment, elle rêvait de publier son propre livre de recettes, un recueil de toutes ses créations originales.
Absorbée dans sa recherche d’idées, elle ne remarqua pas la porte d’entrée s’ouvrir. Ce fut seulement quand elle entendit des pas lourds dans le couloir que Sophie comprit que son mari était rentré.
« Chéri, tu es déjà là ? J’ai trouvé une recette géniale ! » s’exclama-t-elle, toute joyeuse, entrant dans le couloir. « Imagine, un mélange de cuisine française et russe, ce sera incroyable ! »
L’homme passa devant elle sans un regard, imprégné d’un parfum coûteux, chargé d’effluves féminins.
Un frisson désagréable parcourut l’échine de Sophie.
« Le dîner est prêt, j’ai préparé ton plat préféré… »
« Ça suffit ! » interrompit brutalement Marc. « J’en ai assez de tes expériences culinaires ! C’est tout ce dont tu parles ! Je m’en fiche. J’en ai marre ! »
Il se dirigea vers le salon, sortit des papiers de sa mallette, les jeta violemment sur la table basse. Quelques feuilles tombèrent au sol.
« Qu’est-ce que c’est ? » demanda Sophie, la voix tremblante en ramassant les documents.
« Le divorce. Tu signes. Et pas de crises hystériques. »
Le sol sembla se dérober sous ses pieds. Elle s’agrippa au dossier d’une chaise pour ne pas tomber.
« Mais qu’est-ce que tu racontes ? Le divorce ? Entre nous tout allait bien ! On a fêté ta promotion il y a peu. Tu disais à tout le monde combien j’étais une épouse formidable. »
« Tu l’étais ! » cria Marc en déboutonnant sa veste de marque. « Pour un cadre moyen, peut-être. Mais aujourd’hui, je suis directeur adjoint ! J’ai un autre cercle, d’autres ambitions. Une nouvelle vie. Des exigences auxquelles tu ne corresponds pas. J’ai honte de dire que tu es ma femme. Une vraie honte ! Qui es-tu ? Une ménagère obsédée par ses recettes ! Une souris grise ! Tu n’es pas à ma hauteur ! »
Les larmes roulèrent sur les joues de Sophie. « Je voulais écrire un livre, lancer ma chaîne de cuisine… »
« Ridicule ! » ricana Marc. « Tu comprends ce que je dis ? Je veux une femme d’un autre calibre. Cultivée, soignée, trilingue. Pas une cuisinière rêvant d’un livre de recettes. »
Sophie serra les papiers entre ses doigts pâles. « Tu as une autre femme ? »
« Oui. Cent fois mieux que toi. Avec elle, je me sens fier et respecté. Avec toi, c’est l’inverse. Notre mariage est fini ! »
« Deux ans à tes côtés ! Quand tu n’étais qu’un simple manager sans un sou ! Je faisais tout : cuisiner, nettoyer, repasser ! »
« Justement ! » l’interrompit-il. « Tu es restée la femme de ménage et la cuisinière. Moi, j’ai grandi ! Allez, signe et mets fin à ce cirque. L’appartement est à toi, je pars. Je ne réclame rien. Demain, je fais venir des déménageurs. »
Marc quitta la pièce, composant un numéro sur son téléphone.
« Oui, chérie, j’arrive. Attends-moi au restaurant. »
La porte claqua. Dans le silence qui suivit, seul le tic-tac de l’horloge et le goutte-à-goutte du robinet se firent entendre.
Sophie s’effondra lentement dans la chaise, tenant les papiers du divorce. La tarte oubliée dans le four commença à brûler, mais elle ne bougea pas.
En dix minutes, tout son univers construit avec tant d’efforts s’était effondré.
« Comment ai-je pu en arriver là ? » se répétait-elle. « Quand tout a-t-il basculé ? Pourquoi n’ai-je rien vu ? »
La seule réponse était le silence et le parfum amer d’une autre femme, gravé à jamais dans sa mémoire.
Le lendemain matin, un coup frappé à la porte la tira de son sommeil. Sophie, qui n’avait presque pas fermé l’œil, alla ouvrir. Devant elle, deux hommes robustes en tenue de déménageurs.
« Bonjour ! Monsieur Marc nous a envoyés. On est là pour récupérer ses affaires », annonça poliment l’un d’eux.
Elle acquiesça silencieusement et les conduisit à la chambre. Dans la grande armoire, pendaient les costumes chers de son mari. Sa main caressa la veste qu’elle avait choisie pour leur anniversaire de mariage. Un nœud douloureux lui serra la gorge.
« Voilà ses affaires », dit-elle doucement. « Faites attention au costume bleu, c’était son préféré. »
« Était », corrigea-t-elle intérieurement.
Pendant que les déménageurs emballaient, Sophie appela son amie.
« Camille ? Salut ! Tu es au boulot ? »
« Oui, quoi de neuf ? » demanda Camille, inquiète. « Ta voix sonne étrange. »
« Marc… Il a ramené les papiers du divorce hier », trembla la voix de Sophie.
Un long silence suivit.
« Oh mon Dieu… Sophie, je suis désolée. Je le craignais. Depuis sa promotion, ton mari est devenu un homme complètement différent. »
« Comment ça ? »
« Assieds-toi, ça va être long… Depuis qu’il est directeur adjoint, il a changé. Il est devenu méprisant avec ses collègues, humiliant tout le monde, surtout les femmes. Et puis il y a cette… Marina. »
« Marina ? »
« La nouvelle DRH. Jeune, ambitieuse, issue d’une famille très riche. Il est tombé sous son charme. Ils déjeunent ensemble, ils font des heures sup au bureau… La semaine dernière, elle exhibait une bague en diamant, cadeau d’un ‘homme spécial’. »
À ce moment-là, un carton tomba lourdement. Sophie sursauta.
« Je te rappelle », dit-elle en raccrochant.
L’heure qui suivit fut un brouillard.
Les déménageurs emportèrent tout. L’armoire se vida. Sophie ramassa machinalement des cravates éparpillées, ferma les tiroirs vides.
Dans la poche d’une vieille veste, elle trouva une photo d’eux deux, encore souriants. Incapable de la supporter, elle la déchira en petits morceaux.
Le téléphone sonna à nouveau. C’était Camille.
« Sophie, comment vas-tu ? Je ne cesse de penser à toi. »
« Tu sais quoi ? Je crois que je devrais remercier cette Marina. Elle m’a montré le vrai visage de mon mari. Enfin, de mon ex. »
« Et maintenant ? »
« Je ne sais pas encore. Mais je ne vais pas rester là à pleurer. Ça suffit ! Deux ans à vivre sa vie, il est temps de vivre la mienne. »
« C’est ça ! Mais ne signe pas trop vite. Laisse-le souffrir un peu. »
« Non, je signe. Je refuse de me dégrader en restant avec un homme infidèle. Mais il paiera pour chaque larme versée ! »
Après avoir raccroché, Sophie regarda par la fenêtre.
Une voiture chargée de ses affaires disparaissait au loin. Son ancienne vie partait avec elle. Devant elle, l’inconnu. Mais étrangement, pour la première fois depuis longtemps, elle ne ressentait pas la peur.
Elle sortit son téléphone et composa un numéro.
« Bonjour ! Je souhaite organiser un événement d’entreprise. Oui, réserver une grande salle pour vendredi prochain. Deux cents personnes. Et aussi… j’aimerais discuter d’arrangements particuliers pour la soirée. »