Le fils invisible d’Alain Delon : l’histoire oubliée d’Ari Boulogne
Alain Delon, figure légendaire du cinéma français, a longtemps été considéré comme l’un des hommes les plus séduisants de son époque. Sa beauté magnétique faisait chavirer les cœurs, et nombreuses furent les femmes qui tombèrent sous son charme. Marié à l’actrice Nathalie Barthelemy, compagnon de la mannequin néerlandaise Rosalie van Breemen, et brièvement lié à la chanteuse allemande Nico — sa vie sentimentale fut aussi mouvementée que ses films. De ces relations sont nés quatre enfants, mais un seul resta dans l’ombre : un fils qu’il n’a jamais reconnu.
En 1959, sur le tournage du film Plein Soleil, Delon croise le chemin de Nico, artiste énigmatique et envoûtante. Pour lui, ce n’était qu’un flirt éphémère. Pour elle, c’était un coup de foudre. Lorsqu’elle découvre qu’elle est enceinte, Nico décide d’élever l’enfant seule. Le 11 août 1962, Ari naît en France. À 24 ans, Nico tente de prévenir le père, mais Delon coupe tout contact.
Quatre ans plus tard, alors qu’Ari frôle la mort dans un accident, Nico, à bout de forces, écrit à Edith Boulogne, la mère d’Alain. Dans une lettre empreinte de détresse, elle lui confie ne plus pouvoir faire face seule. Touchée, Edith s’envole pour New York et ramène l’enfant en France. Elle l’adopte légalement avec son mari, Paul Boulogne. Le nom de Delon n’apparaîtra jamais dans les papiers d’Ari, mais l’empreinte du père, elle, ne cessera jamais de hanter sa vie.
Ari grandit entre deux mondes : celui de sa mère artiste, instable, et celui de sa grand-mère, strict mais protecteur. Alain, lui, reste absent. Ironie cruelle, car Delon lui-même avait été placé en famille d’accueil dès l’âge de quatre ans. Il en avait gardé une blessure vive, une sensation d’abandon dont il parlera plus tard dans ses rares confidences. Pourtant, il reproduira ce même rejet envers son propre fils.
Adolescent, Ari est envoyé dans un collège catholique rigoureux. Là-bas, il subit brimades et humiliations à cause du passé sulfureux de Nico, chanteuse du Velvet Underground, connue pour ses excès. À 16 ans, Ari sombre à son tour. Une overdose le frôle de peu. Edith le sauve encore une fois, le fait engager comme apprenti pâtissier. Plus tard, Ari deviendra photographe et même réalisateur d’un film.
Le destin les réunira une fois, brièvement. Après les obsèques de Paul Boulogne, Delon accepte de raccompagner Ari jusqu’au métro. Dans la voiture, un silence glacial. Et puis ces mots, comme un couperet :
— Tu n’as pas mes yeux, ni mes cheveux. Tu n’es pas mon fils, tu ne le seras jamais. Je n’ai couché avec ta mère qu’une seule fois. Tu n’es qu’un copain.
Ari n’attendait pas d’amour, mais il espérait au moins un signe, un regard. Il n’aura rien. Pas même un test ADN. Delon se réfugiera derrière des prétextes absurdes, affirmant ne pas savoir qui Nico avait réellement mis au monde. Mais le visage d’Ari, lui, faisait souvent tourner les têtes. Les chauffeurs de taxi lui demandaient régulièrement : « Vous seriez pas le fils d’Alain Delon, par hasard ? »
Pendant longtemps, Ari a tenté de prouver son lien. Puis il a abandonné. À quoi bon forcer un père à reconnaître ce qu’il refuse de voir ?
En 2015, affaibli, Ari est victime d’un infarctus. Il survit, mais sa santé décline. Paralysé après une chute, en fauteuil roulant, il ne peut plus vivre seul. Et pourtant, c’est seul qu’il meurt, le 20 mai 2023, dans un appartement parisien. Aucune main pour l’aider. Aucune voix pour l’appeler.
Son corps, demi-figé, était devenu le symbole d’une vie cassée. Abandonné à la naissance. Ignoré dans la vie. Et oublié à la fin.