J’ai eu honte de mon père mécanicien… aujourd’hui je roule sa Harley chaque dimanche

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Enfant, j’ai longtemps rêvé d’une vie plus brillante, plus “réussie”. Le père de mon amie d’école était chirurgien, la mère d’une autre était avocate en hautes sphères. Ils vivaient dans de belles maisons qui sentaient la cire et le cuir neuf, conduisaient de belles berlines, et leurs costumes semblaient sortis tout droit d’un magazine.

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Et puis, il y avait mon père. Luc.

Un mécanicien moto. Des mains couvertes d’huile, des bottes trouées, une barbe en bataille. Il venait me chercher à l’école sur sa vieille Harley qui pétaradait dans la cour. Gilet en cuir usé, tatouages aux avant-bras, lunettes de soleil rayées. Une apparition que je redoutais.

Je le fuyais.

Un jour, en classe de troisième, je l’ai vu m’attendre depuis la fenêtre du couloir. Ma copine Julie a levé la main : “C’est ton père ?”
“Non, juste Luc. Il travaille dans un garage à côté de chez moi”, ai-je répondu sèchement.

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Je l’appelais par son prénom. Pas “Papa”. Ni à l’école, ni à la maison. Le tenir à distance me semblait plus facile. Moins embarrassant. Moins douloureux.

Il n’a jamais protesté.

Même quand j’inventais des histoires sur ma famille pour les devoirs d’école, il me souriait doucement : “Si ça t’aide à briller, ma puce, alors raconte.” Il y avait une lueur triste dans ses yeux, mais il ne m’en voulait pas.

Je me souviens encore de son dernier regard. Le jour de ma remise de diplôme universitaire.

Il était là, debout parmi les autres parents. Jean propre, chemise repassée, barbe taillée. Il avait même peigné ses cheveux. Dans ses grandes mains abîmées, il tenait un bouquet de fleurs des champs.

Autour de nous, les familles bien habillées prenaient des photos. Les montres brillaient. Les compliments fusaient. Et puis, au milieu de cette scène chic, il y avait Luc.

À la fin de la cérémonie, il s’est approché, bras ouverts.

“Je suis tellement fier de toi,” a-t-il soufflé, la voix tremblante.

Je n’ai pas répondu. J’ai juste tendu la main. “Merci, Luc.”

Son sourire a fléchi. Il a regardé ma main comme s’il ne la reconnaissait pas. Puis il l’a serrée. En silence.

Trois semaines plus tard, le téléphone a sonné.

Accident. Moto. Mort instantanée. Aucune douleur, disaient-ils.

Je n’ai pas pleuré. Pas tout de suite. J’ai pensé que c’était normal. On n’était pas si proches, non ? Il avait eu sa vie. Et moi, la mienne à construire.

Mais le jour de ses obsèques a tout changé.

Je m’attendais à une cérémonie discrète. Quelques cousins. Peut-être son ami Gus. Mais l’église était pleine. Des motards, des adolescents, des mamies, des mamans avec leurs enfants. Tous là pour lui.

Un ancien militaire m’a serré la main : “Ton père venait voir mon fils tous les mardis à l’hôpital. Il lui apportait du café, des magazines. Il n’a jamais manqué une seule visite.”

Une dame âgée m’a prise dans ses bras : “Luc a réparé mon chauffage gratuitement. Il m’a même apporté de la soupe pendant ma grippe. On voit encore ça aujourd’hui ?”

Un ado a soufflé à mon oreille : “Il m’a appris la mécanique. Il croyait en moi, alors que mes parents avaient baissé les bras.”

Et les témoignages se sont enchaînés.

“Il a ravitaillé tout le quartier après une inondation.”

“Il a maintenu le local associatif ouvert quand plus personne ne s’en occupait.”

“Il n’a jamais parlé de lui. Il faisait. Et repartait.”

Je suis restée figée. Ils le connaissaient mieux que moi.

Ce soir-là, je suis retournée dans son atelier. La lumière au-dessus de l’établi brillait encore. Ses outils étaient parfaitement alignés, comme un autel silencieux. Sur le mur, entre les calendriers et les plans de moteurs, une photo.

Moi, à cinq ans, sur ses épaules. Casque rose de travers, les joues pleines de rires. Et lui, les yeux fermés de bonheur.

Je me suis effondrée.

Sur la table, une enveloppe. Mon prénom, écrit d’une main hésitante.

“Ma fille chérie,

Si tu lis cette lettre, c’est que je ne suis plus là. J’espère t’avoir dit combien je t’aimais, combien j’étais fier de toi. J’ai vu que je te faisais honte, parfois. Je l’ai senti. Mais je ne t’en ai jamais voulu. Tu voulais autre chose. Quelque chose de plus grand. Et c’est bien.

Mais j’espère qu’un jour, tu comprendras : réparer des motos, ce n’était pas que de la mécanique. C’était ma manière d’aider les gens à avancer. Toi, tu as toujours été mon moteur.

Ne laisse pas les regrets t’alourdir. Vis. Vraiment.

Et si un jour l’envie te prend… la Harley est à toi.

Je t’aime,
Papa.”

Ces mots ont tout changé.

J’ai passé les semaines suivantes à nettoyer son garage. Non pas par obligation. Mais parce que j’en avais besoin. J’ai appris à changer l’huile, à reconnaître les outils. J’ai écouté les vieux disques de rock qu’il adorait. Et un dimanche matin, j’ai démarré la Harley.

J’ai tremblé. Le bruit, la vitesse, le vent. Tout m’a secouée. Mais dans ma tête, j’ai entendu sa voix :

“Reste droite, ma puce. Et penche dans le virage.”

Alors je l’ai fait.

Depuis, chaque dimanche, je roule. Sur ses routes. Dans son silence. Je m’arrête au même café où il laissait toujours un billet en trop. Dans la poche de ma veste, une photo de lui. Juste contre mon cœur.

Et quand quelqu’un me demande d’où vient la moto, je réponds avec un sourire :

“Elle appartenait à mon père.”

Il n’était pas avocat. Ni médecin.

Il était mécano. Solide. Discret. Et profondément généreux.

Et il m’a aimée plus que je ne l’ai compris… jusqu’à ce que je monte enfin sur sa moto.

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