Un nouveau frère venu de l’ombre : le jour où mon père a changé notre famille à jamais

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Quand j’ai eu sept ans, mon père a eu un fils avec une autre femme. Ils lui ont donné le même prénom que lui — Sergueï. Sergueï Stepanovitch.

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Un jour, papa est passé dans la cour de ma grand-mère maternelle, un bébé dans les bras. Un petit garçon aux cheveux sombres, aux immenses yeux noisette, qui suçotait bruyamment sa tétine en nous dévisageant avec curiosité. Le bonnet de dentelle qu’il portait ne permettait même pas de deviner que c’était un garçon.

— Sergueï, voici ta sœur, dit mon père simplement.

La concision était sa spécialité. En deux mots, il avait annoncé à son fils d’un an et demi qu’il avait une famille de l’autre côté.

Le choc n’eut pas le temps de s’installer : l’instinct maternel de ma grand-mère prit le dessus. Elle prit le bébé dans ses bras sans hésiter. C’est ainsi que, le 15 septembre 1983, Sergueï Stepanovitch fit irruption dans notre monde exclusivement féminin. Maman l’appelait tendrement “mon petit Sergueï”, et grand-mère “mon petit aux yeux de velours”.

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Grand-mère, c’était simple : elle ne connaissait ni la rancune, ni le ressentiment.

Mais maman, elle… Elle m’a surprise. Sa blessure vis-à-vis de mon père était profonde, souvent proche de la haine. Jusqu’à l’arrivée de Sergueï.

Le petit garçon était fragile, né avec une malformation cardiaque. Il avait survécu grâce aux soins constants, mais sa santé restait précaire. Les séjours en cardiologie étaient fréquents. Et pourtant, il s’accrochait à la vie.

Quand papa l’amenait chez nous, la maison s’emplissait de lumière. Ce petit tourbillon de malice savait retourner tout le monde ! Il engloutissait les pâtisseries de grand-mère, se régalait des raviolis de maman, construisait des châteaux de coussins dans le salon. Des plumes flottaient partout, les chats se cachaient, et son rire résonnait jusqu’au bout du jardin.

— Ramène-le plus souvent, disait maman, attendrie.

Grâce à lui, mon père n’a jamais totalement disparu de nos vies. C’est à travers Sergueï que maman a pu rouvrir son cœur.

Ce n’était pas par pitié. On ne pouvait tout simplement pas ne pas l’aimer. Il se collait à nous comme un ourson, lançait à tue-tête :

— Tata Nina, je t’aime ! Mamie, je t’aime ! Papa, je t’aime !

Un jour, papa nous a emmenés à Moscou, au parc Gorki. Les marronniers étaient en fleurs, et le parc baignait dans un blanc éclatant. Pour ne pas perdre Sergueï, il lui avait acheté un pistolet à piles au GUM. Chaque fois qu’il appuyait sur la gâchette, l’arme grinçait, et on savait exactement où il était. Jusqu’à ce que les piles meurent. Et là, panique :

— Ma fille, retrouve ce petit démon !

On l’a repéré au rayon sacs, en train de flirter avec les vendeuses tout en croquant des bonbons.

On formait une équipe inséparable. Papa et notre oncle nous infligeaient des “leçons d’éducation” après chaque bêtise. Je ne me souviens pas d’un jour sans qu’ils lèvent les yeux au ciel. Mais quand l’été touchait à sa fin, on ne voulait jamais partir.

Le 29 août, papa devait presque nous arracher à lui, tandis qu’on sanglotait dans ses bras.

Un autre souvenir : ce Noël où il nous avait emmenés à la grande fête d’hiver. Il avait attaché les luges les unes aux autres, comme un petit train, et filait à toute allure dans le parc. On riait, on lançait des boules de neige. Jusqu’au moment où Sergueï s’est effondré dans la neige, incapable de respirer. Son cœur… encore une fois.

Aux urgences, nous étions tous là. Moi. Papa. La mère de Sergueï, arrivée en taxi. Puis maman et grand-mère, à bout de souffle. Assis en silence, à se regarder dans les yeux, sans mot dire. Après cela, on ne revit plus Sergueï pendant un long moment. Sa mère avait refusé qu’il vienne. « Ce genre de relations n’a aucun sens », disait-elle.

Notre trio féminin sombra dans une tristesse discrète. Papa venait seul. Grand-mère et maman comprenaient… et gardaient le silence.

Quatre mois plus tard, un samedi, un bruit retentit contre la barrière, suivi d’un cri :

— Je suis là ! Où êtes-vous ? MAMIIIIE !

Je le revois encore suspendu à la grille, son vélo à moitié renversé. Maman et grand-mère l’ont décroché, le serrant dans leurs bras, riant, pleurant à la fois. Puis maman a appelé papa, paniquée. Sergueï avait tout simplement fugué pour venir nous voir.

Papa est arrivé, blanc comme un linge.

— Bon. Où est ma ceinture ? Ce gosse va s’en souvenir !

Mais Sergueï, déjà, se cachait derrière maman, l’air ravi.

C’était un drôle de mélange : une ex-femme pleine de rancune, un ex-mari partagé, deux enfants unis par le sang d’un même père… et une grand-mère que nous aimions tous inconditionnellement.

La vie a suivi son cours.

À ma remise de diplôme, il était là, chemise blanche et nœud papillon.

Il était là le jour de mon mariage. Mon petit frère magnifique.

Il était là, aussi, le jour où on a enterré grand-mère.

…Mais le pire est arrivé. Mon père a dû vivre l’invivable : enterrer son propre fils.

Sergueï est mort à 28 ans. Son cœur s’est arrêté.

Depuis, la seule joie de mon père a été ma fille.

Maman a vieilli brutalement après ce drame.

Et moi ?

Moi, je continue à le voir vivant. Mon petit frère, que papa avait un jour déposé dans nos vies… et dans nos cœurs.

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