— Camille, ce sont mes parents ! Comment as-tu pu les mettre à la porte ? — s’indigna son mari.
— C’est chez moi aussi, et ils m’ont traitée comme une servante ! — rétorqua Camille.
— Je ne sais pas ce que tu entends par hospitalité, mais quand des invités demandent quelque chose, tu te dois de les recevoir convenablement. Surtout quand il s’agit de mes parents. Ils ont fait tout le trajet, sont fatigués, et toi…
— Je ne les ai pas invités ! Et s’ils savaient que tu n’étais pas là, pourquoi sont-ils venus ?
— Tu es incapable de bien les recevoir toute seule ?
— Je te jure que je les ai bien accueillis ! Mais Élodie n’a pas aimé qu’on n’ait que du thé noir !
— Oui, maman préfère le thé vert. Le magasin est juste à côté, tu aurais pu lui en acheter un peu. À moins que tu aies eu peur de les laisser seuls ici ?
— Peur ? Pas du tout ! — répondit Camille, les larmes aux yeux. — J’y suis allée, et j’ai acheté ce qu’elle voulait. Mais quand je suis revenue, ta mère m’a dit que je m’étais trompée de variété. Pourtant, je suis certaine de ce qu’elle m’a demandé, je ne connais pas vraiment le thé vert.
— Même si maman s’est trompée, tu aurais pu lui demander de noter la référence et retourner au magasin. Franchement, mes parents viennent rarement, c’est leur deuxième visite depuis notre mariage.
— Théo, j’ai fait comme tu dis, mais ça ne s’est pas arrêté là. Ton père a dit qu’il avait faim et m’a demandé de préparer le dîner. Je leur ai proposé ce que j’avais déjà préparé, mais tes parents ont refusé.
— Ah bon ? Et qu’ont-ils demandé ? — demanda-t-il, sceptique.
— Regarde par toi-même, — répondit-elle en lui tendant une feuille de papier couverte de l’écriture de son beau-père.
Théo souffla bruyamment entre ses dents.
— Et tu as cuisiné ça ?
— Bien sûr que non, je ne sais même pas faire ça ! Je leur ai dit que je n’étais pas chef et que je faisais des repas simples, pas des plats comme ceux-là.
Théo commença à marcher dans la pièce, pensif.
— Et après ? Maman m’a dit que tu les avais maltraités et mis dehors. Ce n’était pas pour ça, j’espère ?
— Non. Après ma réponse, ils ont juste continué à boire leur thé. Puis Élodie a annoncé qu’ils allaient rénover leur appartement.
— Je le sais, — répondit Théo.
— Elle a dit que, puisque je ne faisais rien d’important à la maison, je devais les aider.
— Peut-être qu’elle voulait juste des conseils pour choisir les matériaux ?
— C’est ce que j’ai pensé au début. Tu lui avais dit que j’étais designer, donc elle a pensé que je pourrais leur donner des conseils professionnels.
— Et tu as refusé ?
— Non, j’ai proposé de leur faire un projet et de choisir les meubles selon leurs goûts. Théo, j’avais même prévu de ne pas les faire payer, car ce sont tes parents.
— Et après ?
— Là, c’est devenu insensé !
Camille baissa la tête, visiblement bouleversée, et cacha son visage entre ses mains.
— Designer ? — se moqua Élodie en échangeant un regard avec Philippe.
Philippe émit un petit rire sarcastique.
— Oui, j’ai étudié cette spécialité, je peux vous aider à décorer. Dites-moi ce que vous aimez, et je ferai un projet, choisirai les meubles, les tissus, les couleurs… — expliqua Camille, enthousiaste.
Elle était ravie de pouvoir les aider et espérait se rapprocher de la famille. L’incident du thé et du dîner était déjà derrière elle.
— Tu as étudié ça ? — lança Élodie, moqueuse.
— Et donc, tu n’as aucune vraie qualification ? — ajouta-t-elle, condescendante.
— Si, bien sûr… — balbutia Camille. — J’ai un diplôme reconnu par l’État, j’étais même major de ma promotion.
— Hum, hum… — marmonna Philippe.
— Dans notre famille, tout le monde a fait des études supérieures, — précisa Élodie. — Moi, Philippe, ton frère Antoine et sa femme Sophie, tous. Et Théo, pour ta part, a étudié et fait un stage à l’étranger !
Elle semblait particulièrement fière de son fils et de ses réussites académiques.
— Ton petit diplôme ne vaut rien, — conclut-elle avec dédain.
— Pourquoi ? — s’étonna Camille. — C’est une formation sérieuse. Tout le monde ne va pas à l’université. J’aurais peut-être continué, mais je me suis mariée et…
— Et tu es restée une “sans-diplôme”, — coupa Élodie, méprisante.
Camille en eut le souffle coupé.
— Je ne me considère pas comme une moins-que-rien, — répliqua-t-elle avec fermeté. — Je travaille, je gagne ma vie, je contribue à notre foyer.
— Ah, tiens ! — s’esclaffa Élodie. — Elle “contribue”, tu entends, Philippe ?
— Où est cette contribution, si tu ne sais même pas recevoir tes invités correctement ? — ajouta Philippe, les yeux plissés. — Ou alors Théo se contente de plats surgelés ?
— Des surgelés ? Je cuisine très bien, ma mère m’a appris… — commença Camille, avant de s’énerver. — Et même si c’était le cas, où est le problème ?
Élodie grimça, visiblement agacée.
— “Où est le problème ?” — l’imita-t-elle. — Où est-ce que Théo t’a dénichée ?
— Je ne suis pas un objet ! — s’indigna Camille. — Nous nous sommes rencontrés à l’aéroport. Je rentrais chez mes parents, et lui revenait de son stage. Vous le savez très bien, alors pourquoi poser cette question ?
— C’était une question rhétorique, — répondit Élodie, dédaigneuse. — Si tu avais un vrai diplôme, tu comprendrais. La différence est évidente.
— Si les études supérieures rendent les gens arrogants, je préfère m’en passer, — répliqua Camille, le menton haut.
— Elles rendent les gens plus intelligents, pour ne pas perdre de temps avec des explications inutiles, — rétorqua Élodie, narquoise.
Camille se tut, retenant sa colère.
— Revenons à la rénovation, — reprit Élodie, comme si de rien n’était.
— Si vous voulez mon aide, je peux vous donner des conseils professionnels.
Camille décida de faire abstraction de leur arrogance et de rester professionnelle. S’ils voulaient la tester, elle était prête.
Ils verraient de quoi elle était capable, ils finiraient par reconnaître ses compétences, et ils s’excuseraient…
— Des conseils ? — ricana Élodie. — Nous préférons consulter des diplômés.
— Alors que voulez-vous exactement ? Pourquoi ne pas les contacter ?
— Nous avons besoin d’aide pour autre chose. Les ouvriers feront les travaux, mais il faudra nettoyer après eux. Balayer les débris, laver le sol, de petites choses comme ça, tu comprends ? — fit Élodie avec un sourire innocent.
— Vous voulez… m’engager comme femme de ménage ? — réalisa Camille, stupéfaite.
— Employée ? Non, ce serait un service entre famille, sans rémunération.
— Avec ton petit diplôme, tu devrais être capable de le faire, — ajouta Philippe, sarcastique.
Camille en resta sans voix. Jamais elle n’avait été aussi humiliée. Mais lorsque Théo apprit la vérité sur leur mépris, il décida de les affronter et affirma que son bonheur passait avant leurs attentes.