— Anya, je suis rentrée ! — annonça Vera en franchissant la porte de l’appartement.
Sa fille, une adolescente d’environ treize ans, sortit de sa chambre avec un sourire.
— Maman, tu es rentrée tôt aujourd’hui.
— Oui, j’ai pu finir plus tôt, mais la semaine prochaine, je devrai rester quelques heures de plus. Et toi, comment s’est passée ta journée à l’école ?
— Comme d’habitude, rien de spécial.
Vera observa le visage de sa fille et fronça les sourcils.
— Tu es bien pâle. Pourquoi ne sortirais-tu pas un peu pendant que je prépare le dîner ?
Anya acquiesça joyeusement.
— D’accord, maman ! J’ai emprunté un livre passionnant à la bibliothèque, je vais en profiter pour lire dehors.
Elle se prépara rapidement et quitta la maison. Vera la regarda partir, songeuse. Elle ressemblait tant à son père… Lui aussi ne se séparait jamais de ses livres. Intelligent, cultivé, ambitieux… mais incompatible avec Vera.
Un Amour Impossible
Quatorze ans plus tôt, alors qu’elle étudiait la médecine, Vera était tombée follement amoureuse d’Igor. Il n’était pas seulement brillant, il était fascinant. Ensemble, ils passaient des heures à discuter, à se promener, à savourer chaque instant partagé. Pourtant, Igor n’était pas un intellectuel enfermé dans ses livres, il était aussi un passionné de sport.
À l’époque, Vera aurait pu parler de lui pendant des heures, persuadée qu’ils étaient faits l’un pour l’autre. Jusqu’au jour où il l’invita chez ses parents.
Ce fut une révélation brutale.
Les parents d’Igor n’étaient pas simplement aisés, ils étaient immensément riches. Une maison luxueuse, des domestiques silencieux… Pour Vera, qui avait grandi dans un quartier pauvre où l’alcool coulait plus que la nourriture, ce monde était étouffant.
Mais pire encore, la mère d’Igor l’ignora complètement, comme si elle n’existait pas.
Cette nuit-là, Vera pleura dans les bras de sa mère.
— Maman, que dois-je faire ?
— Réfléchis bien, ma chérie. S’il t’épouse, seras-tu prête à être traitée comme une étrangère toute ta vie ?
Vera passa une nuit blanche, rongée par le doute.
Le lendemain, lorsqu’elle annonça sa décision à Igor, il refusa d’y croire.
— Vera, je t’aime, et toi aussi, tu m’aimes !
Elle détourna le regard, les yeux pleins de larmes.
— Tu comprendras avec le temps. Nous venons de mondes trop différents.
Et elle tourna les talons, priant pour ne pas s’effondrer avant d’atteindre le coin de la rue.
Un Retour Inattendu
Les années passèrent. Vera abandonna ses études lorsque sa mère tomba malade, puis trouva du travail comme aide-soignante dans une clinique réputée. Son rêve était désormais de bâtir un avenir meilleur pour Anya.
Ce jour-là, Anya, insouciante, marchait vers son parc favori, un livre sous le bras. Elle s’installa sur son banc habituel, prête à plonger dans sa lecture, quand une voix tremblante attira son attention.
— Doucement… s’il vous plaît, partez…
Intriguée, elle jeta un coup d’œil derrière un buisson et aperçut un homme d’une quarantaine d’années, entouré de chiens errants. Il semblait paniqué.
Les chiens n’étaient pourtant pas agressifs. Anya les connaissait bien, c’étaient des habitués du quartier.
Sans hésiter, elle referma son livre et s’approcha.
— Ne vous inquiétez pas, ils ne sont pas dangereux.
L’homme sursauta.
— Ne t’approche pas !
Mais les chiens, reconnaissant la jeune fille, remuèrent joyeusement la queue et coururent vers elle. L’homme, pensant qu’elle était en danger, fit un pas en avant pour la protéger.
Anya éclata de rire et caressa les animaux.
— Allez, filez ! Vous avez fait peur à ce monsieur pour rien.
Les chiens baissèrent la tête, comme s’ils comprenaient, et s’éloignèrent.
L’homme, visiblement soulagé, sourit enfin.
— Merci. J’ai toujours eu peur des gros chiens.
— Vous venez souvent ici ? demanda Anya.
— Oui. J’aime lire au calme. Et toi ?
— Moi aussi ! répondit-elle avec enthousiasme.
Il lui montra son livre, un exemplaire visiblement ancien.
— C’est un cadeau précieux d’une personne qui comptait beaucoup pour moi. Tu veux le lire ?
— Oh non, je ne peux pas accepter un tel cadeau.
— Je t’assure, c’est important que ce livre continue d’être lu.
Et sur ces mots, il lui tendit l’ouvrage avant de s’éloigner.
Une Révélation Bouleversante
De retour à la maison, Anya raconta tout à sa mère, fière de son nouvel ami.
Mais lorsque Vera ouvrit le livre, son visage se figea.
Une dédicace sur la première page attira immédiatement son regard.
« À Igor, avec amour. »
Le livre lui échappa des mains.
— Maman ? Ça ne va pas ?
Vera, troublée, reprit son calme.
— Tout va bien, ma chérie.
Mais Anya n’était pas dupe.
— Ce livre te dit quelque chose, n’est-ce pas ?
Un soupir s’échappa des lèvres de Vera.
— Oui… Je l’ai offert à Igor, il y a longtemps.
Les yeux d’Anya s’illuminèrent.
— C’était lui, n’est-ce pas ? L’homme au parc ?
Vera détourna le regard.
— Il a une famille maintenant, Anya. Oublie ça.
Mais la jeune fille n’était pas convaincue.
Elle serra le livre contre elle et pensa :
« Peut-être que maman se trompe. Peut-être que l’amour ne se résume pas à l’argent… »