La confiture de cerises semblait parfaite : dense, limpide, et dotée d’une teinte éclatante et profonde. Sous l’éclat des rayons du soleil, le pot en verre laissait miroiter dans le sirop des éclats rubis, comme si d’infimes pierres précieuses y étaient suspendues. Catherine nettoya doucement le rebord avec un linge doux, referma hermétiquement le couvercle, puis déposa le pot dans un sac en papier solide. Deux autres pots de confiture, enveloppés avec soin dans des serviettes de papier, l’accompagnaient déjà aux côtés de petits pâtés maison farcis au chou et aux pommes de terre, ainsi qu’une boîte de thé en feuilles parfumé à la bergamote. Pas une quantité excessive, mais le cadeau était loin d’être insignifiant.
Elle scruta la cuisine, où tout respirait le rangement : la vaisselle était propre, la cuisinière brillait, et la nappe étendue au-dessus de la table ne présentait ni plis, ni taches. Tout cela, Catherine s’efforçait de maintenir non par simple souci personnel, mais parce qu’elle savait que l’ordre dans l’environnement facilitait un équilibre intérieur.
« Katia, es-tu prête ? » demanda André en apparaissant dans la cuisine. Habillé d’une veste légère et d’un jean, il tenait ses clés en main et trépignait d’impatience.
« Presque, » répondit-elle, dissimulant son appréhension derrière un sourire aimable. « Tu crois que maman aimera la confiture ? »
Avec un sourire amusé, André posa un baiser sur sa tempe.
« Ce n’est pas important, maman va nous accueillir avec chaleur, même sans cadeau. »
Ses paroles paraissaient simples, mais elles reflétaient une réalité où, pour la mère d’André, il était le fils adoré, au centre de toutes ses attentions. En revanche, Catherine était perçue comme une étrangère : une femme réservée, stricte, dotée d’un regard pénétrant capable de sonder non seulement les actions, mais aussi les pensées.
« Je tiens juste à faire bonne impression, » murmura Catherine en enfilant son manteau. « C’est important pour moi. »
« Tu t’en fais trop, » répliqua André avec un léger ricanement. « Ma mère est une femme simple. Rien de cérémonial. »
Simple, peut-être. Pourtant, Tamara Viktorovna, la directrice d’école expérimentée, adoptait un comportement mondain lors du mariage. Catherine se rappelait comment, pendant la célébration, cette femme avait posé ses questions avec la rigueur d’un entretien professionnel sur les origines de la mariée, sa formation et sa profession, non par curiosité, mais par habitude d’évaluer et de classifier.
« Tu as tout préparé ? » demanda André en aidant Catherine à boutonner son cardigan. « N’oublie pas que notre séjour dure deux semaines. »
« Oui, tout est prêt, » répondit-elle, presque fière d’avoir même pensé à prendre une brosse à dents de rechange.
Un taxi les mena jusqu’à la gare. Le chauffeur restait silencieux, l’épuisement marquant son visage fatigué. À l’intérieur du wagon de seconde classe, l’air embaumait le café des thermos et les pommes fraîches. Tout le trajet, Catherine contempla par la fenêtre les champs alternant avec des bandes de forêt clairsemées et des croisements routiers, tandis que ses pensées s’agitaient sans répit.
Cette visite avait la saveur d’un véritable examen : une immersion familiale sérieuse, un partage quotidien sur une quinzaine de jours. Il ne s’agissait pas simplement de se rencontrer, mais de convaincre la belle-mère que son fils avait fait un choix judicieux, et de prouver à la sœur d’André que Catherine méritait sa place au sein de la famille.
La ville qui les accueillit lançait une atmosphère humide et une quiétude légèrement froide. Sur le quai, la peinture écaillée des bandes au sol et les bancs bancals évoquaient des scènes de vieux films. Tamara Viktorovna les attendait déjà : grande, élancée, vêtue d’une robe bleu foncé et d’un manteau gris clair, arborant une coiffure impeccable.
« Mon cher Androucha ! » s’exclama-t-elle avec une joie mesurée, serrant tendrement son fils. Son visage s’adoucit, tandis que ses yeux restaient perçants.
« Bonjour, Tamara Viktorovna, » répondit poliment Catherine en tendant le sac. « J’ai apporté un peu de confiture maison, des pâtés et du thé. J’espère que cela vous plaira. »
La belle-mère prit le sac du bout des doigts.
« Oh, Katia, ce n’était vraiment pas nécessaire. Nous avions déjà tout préparé, mais merci quand même. »
Le trajet vers la maison dura une dizaine de minutes. Le jardin privatif affichait un entretien minutieux : des buissons de lilas taillés, une allée pavée soignée, un petit potager où les premières pousses vertes s’éveillaient. La demeure à deux étages, lumineuse, aux grandes fenêtres, évoquait la stabilité et le confort.
À l’intérieur se mêlaient les senteurs de cire, de feuilles de laurier et de pain frais. Dans le vestibule, un grand miroir sculpté reflétait la pièce. À gauche, le salon présentait un mobilier massif, tandis que la salle à manger, baignée de lumière, exposait un mur garni de photographies : André en uniforme scolaire, Natasha arborant une médaille pour ses excellents résultats, des clichés de vacances en bord de mer, des réunions de famille. Catherine, au milieu de ces souvenirs qui n’étaient pas les siens, se sentit étrangère.
« Katia, tu dormiras dans la chambre d’amis, » déclara Tamara, en les conduisant dans le couloir. « Andrew restera évidemment dans la sienne : ici, nous respectons la tradition. »
Catherine fut surprise et regarda son mari. Il haussa les épaules.
« Maman, nous sommes mari et femme, » objecta-t-elle.
« Je sais, mon fils, » répondit Tamara en esquissant un sourire discret. « Mais chez moi, ce sont mes règles qui s’appliquent. Ne le prends pas mal, Katia. Ce n’est que pour deux semaines. »
« Bien sûr, ce n’est pas un problème, » répondit-elle avec empressement, malgré une douleur sourde qui l’étreignait au fond d’elle.
La chambre d’amis était vaste mais froide. Ses murs immaculés, une couverture soigneusement disposée sur le lit et une armoire aux portes miroirs composaient une ambiance sobre. Sur la table de nuit trônait un vase rempli de roses artificielles.
Le dîner se déroula dans une certaine retenue. Attablés autour, Tamara, Natasha — petite, au regard franc et à la coiffure lisse —, André et Catherine partageaient un repas composé de poulet rôti accompagné de pommes de terre, salade fraîche et kvas maison. La conversation s’orienta surtout entre le fils et la mère.
Catherine évoqua son emploi à la bibliothèque, restant toute modeste, évitant les détails superflus.
« Tes parents, où sont-ils en ce moment ? » questionna Tamara soudain, tandis qu’elle servait le thé dans de fines tasses en porcelaine.
« En déplacement professionnel. Mon père est souvent en voyage. C’est ingénieur. »
« Dans quel secteur ? »
« Dans le domaine énergétique. Il travaille sur des projets et se déplace parfois en région. »
« Et ta mère ? »
« Elle est infirmière dans une clinique privée. »
Tamara hocha la tête, mais Catherine sentait qu’elle enregistrait mentalement l’information, peut-être avec prudence plus que dédain. Natasha resta silencieuse.
« La patience est une vertu estimable en famille, spécialement lorsque celle-ci ne correspond pas à nos idéaux. »
Les jours suivants se déroulèrent comme dans un autre univers. Chaque matin débutait par un petit-déjeuner commun, durant lequel Catherine sentait l’examen porté sur chacune de ses manières : sa voix, son comportement, même la façon dont elle tenait sa cuillère. Ensuite venaient les promenades avec Tamara, l’aide en cuisine et ses tentatives pour engager la conversation avec Natasha, qui restait polie mais distante.
Un jour, pendant qu’André passait la journée chez un ami dans la ville voisine, Tamara invita Catherine à prendre le thé dans le jardin. Sur la table trônait un pot de confiture de cerises.
« Ta confiture est excellente, Katia, » commença Tamara de manière inattendue. « L’as-tu vraiment faite toi-même ? »
« Oui, selon la recette grand-maternelle. Elle disait toujours que la cerise exigeait de la patience. »
« C’est une vérité. La patience est une qualité précieuse, dans la vie et au sein de la famille. Surtout quand… la famille n’est pas tout à fait idéale. »
Catherine se tendit. Tamara poursuivit : « Je sais qu’André peut être entêté. Il oublie parfois ce qui est important. Mais c’est un homme bon. Par ailleurs, il est trop confiant. »
« À mes yeux, il semble sincère, » dit Catherine prudemment.
« Oui, mais la sincérité n’est pas toujours un atout, surtout quand il s’agit de choisir une compagne. »
Ce fût une remarque piquante, subtile mais tranchante.
Restant muette, Catherine regardait les cerisiers fleurir doucement près de la clôture. Elle songeait si elle pourrait tenir bon. Être aux côtés d’André signifiait accepter son entourage, leurs coutumes et leurs façons de penser. Pourtant, elle espérait qu’un jour, on l’accepterait aussi.
Conclusion : Cette expérience révèle combien la patience et la persévérance jouent un rôle déterminant dans l’intégration au sein d’une nouvelle famille. Le pot de confiture de cerises, au-delà d’un simple présent, symbolise un pont entre les différences, ainsi qu’un humble geste d’amour et de respect. Catherine, en apprenant à naviguer entre attentes et jugements, incarne le parcours délicat et émouvant de quiconque tente de faire sa place au cœur des liens familiaux complexes.