Le café du parc était un véritable centre névralgique pour l’élite de la ville, niché entre des rangées d’arbres soignés et le murmure d’une fontaine proche. C’était l’heure du déjeuner, et l’endroit était animé de vie. Les serveurs, vêtus de leurs uniformes impeccables, se faufilaient gracieusement entre les tables, portant des plateaux de plats raffinés et des cafés fraîchement préparés. L’air était empli de l’odeur du pain chaud et de la douce fragrance des fleurs qui commençaient à éclore. Pourtant, pour un homme, tout cela semblait insignifiant.
Au centre du café, installé à une table de choix, se trouvait Bernard Green, un nom synonyme de pouvoir et de richesse. Il avait bâti son empire à partir de rien, débutant dans l’immobilier à vingt ans avant de se diversifier dans des affaires que peu osaient envisager. À soixante-douze ans, il se tenait droit, avec la confiance de celui qui ne possède pas seulement son propre monde, mais peut-être aussi celui des autres autour de lui.
Son costume ajusté et ses lunettes dorées reflétaient une vie d’opulence. Pourtant, à cet instant, alors qu’il scrutait le menu, ses gestes semblaient lents, presque hésitants. En face de lui, Marissa, sa jeune femme, semblait tout droit sortie d’une couverture de magazine.
Ses cheveux noirs comme l’ébène encadraient un visage impeccablement maquillé, et ses lèvres rouges semblaient appliquées avec soin. Chaque détail de son apparence respirait l’élégance, mais son sourire n’atteignait pas ses yeux. Elle jouait distraitement avec un bracelet en diamant, son regard fixé sur son téléphone.
Non loin de là, un garçon se tenait près de la barrière de la terrasse. Il était petit pour son âge, un grand sweat à capuche pendait sur sa silhouette maigre. Ses yeux noirs scrutaient les tables, observant les assiettes et les poches, cherchant une occasion.
Son nom était Malik. Bien que personne au café ne le connaisse, son visage était familier dans cette rue, un garçon sans abri, toujours sur les bords des conversations et aux marges des préoccupations. Bernard jeta un coup d’œil à sa montre.
Tu es distrait encore, lui dit-il calmement. Marissa leva les yeux et sourit, mais il n’y avait aucune chaleur dans ce sourire.
Je suis juste là, répondit-elle doucement, en posant sa main sur la sienne.
Tu sais combien j’apprécie ces déjeuners. Malik sentit son estomac grogner. Il se rapprocha, ses pas presque inaudibles, se penchant contre la barrière de la terrasse.
Son regard se posa sur la table de Bernard. C’était un repas comme il n’en voyait plus depuis des mois, un bol de soupe immaculée accompagné de pain frais et d’un verre d’eau pétillante. Mais ce qui se passa ensuite fut encore plus étrange.
Bernard ajusta ses lunettes et prit son téléphone. Marissa glissa sa main dans son sac à main. Malik observa attentivement ses doigts saisir un petit flacon. Elle l’ouvrit d’un geste nonchalant, inclinant sa main juste assez pour que le liquide se mélange instantanément à la soupe fumante.
Malik retint son souffle. Il se figea, les yeux écarquillés, incapable de croire ce qu’il venait de voir. Elle remua la soupe comme si de rien n’était, l’air impassible.
Puis elle se pencha un peu plus près de Bernard, sa voix douce mais audiblement menaçante. Après tout ce que j’ai traversé, tu ne vas pas tout gâcher maintenant. Les mots résonnèrent dans l’esprit de Malik, l’air lourd d’une angoisse qu’il n’arrivait pas à nommer.
Il avait vu ce qu’il pensait voir, n’est-ce pas ? La femme qui paraissait si parfaite dans ce lieu impeccable… pouvait-elle vraiment faire ce qu’il croyait ? Un frisson le parcourut alors qu’il se baissait derrière la balustrade, accablé par l’étrange sensation d’un secret qu’il n’avait pas voulu découvrir.
Il serra les poings. Pourquoi fallait-il qu’il soit celui qui voie tout ça ? Qui croirait un gamin comme lui, un garçon en haillons, caché aux confins d’un monde auquel il n’appartenait pas ? Il jeta un dernier regard autour de lui. Les autres clients ne prêtaient aucune attention à la scène.
Il se contenta de regarder, le cœur battant, alors que Bernard, indifférent, regardait son téléphone, ses yeux à peine levant vers son repas. Marissa était de nouveau toute charme et élégance, son sourire radieux, sa main appuyée sur son menton comme si rien ne s’était passé.
Malik hésita. Il n’avait aucune raison de s’impliquer. Pourquoi réagir ? Il était seul, invisible. Mais ses jambes bougèrent d’elles-mêmes, son cœur battant plus vite. Il se redressa et marcha vers leur table. Sa voix se brisa alors qu’il criait : Ne mangez pas ça !
Les regards se tournèrent vers lui, un silence se fit instantanément. Le bruit d’une fourchette tombant au sol résonna dans tout le café.
Bernard se figea, la cuillère à peine à quelques centimètres de ses lèvres, ses yeux fixant intensément le garçon. Marissa se retourna vivement, une lueur de colère dans les yeux.
Qu’est-ce que tu viens de dire ? exigea-t-elle d’une voix glaciale.
Malik, hésitant mais déterminé, répéta : Elle a mis quelque chose dans votre soupe ! Je l’ai vue ! Ne mangez pas ça ! Des murmures parcoururent la salle. Les gens se tournaient vers lui, surpris, quelques-uns attrapant leurs téléphones.
Le silence se fit pesant. Malik se tint là, son cœur tambourinant, le souffle court. Bernard, avec un calme presque glacial, déposa la cuillère.
Qu’est-ce que tu racontes, Marissa ? Sa voix était calme mais pleine de doute. Marissa haussait les épaules, son regard se faisant plus froid.
Ce gamin essaie de nous embêter. Il veut juste de l’argent ou de la nourriture. Elle cracha les mots comme des flèches.
Mais Malik ne recula pas. Il s’approcha du tableau, son regard fixé sur Bernard. Je ne mens pas, dit-il, sa voix se durcissant. Elle ne veut pas que vous sachiez, mais j’ai tout vu.
Bernard resta un instant silencieux, les yeux fixés sur le garçon, son regard de plus en plus scrutateur. Le doute s’insinuait dans son esprit, lentement, mais sûrement.
Malik, c’est ça ? demanda Bernard d’un ton mesuré. Le garçon hocha la tête. Oui, je dis la vérité.
Ne mangez pas ça.
Marissa éclata de rire. C’est absurde, dit-elle. Pourquoi tu crois ce garçon ? Il n’a même pas sa place ici.
Mais Bernard la coupa. Pourquoi est-ce qu’il mentirait ? demanda-t-il, le regard fixant Marissa avec un soupçon naissant.
Pourquoi mentir ? La question flottait dans l’air, lourde de sens. Les murmures autour d’eux s’intensifièrent. Bernard posa la cuillère sur la table, ses mains tremblant légèrement, non de peur, mais d’une tension qui montait.
Marissa, qu’est-ce qui se passe ici ? Sa voix était presque un murmure.
La tension était palpable. La serveuse, debout à l’autre bout du café, finit par intervenir : Devrais-je appeler la police, Monsieur ?
Le regard de Marissa se figea, un frisson de panique traversa son visage.
Non, ne faites pas ça ! cria-t-elle, presque hystérique. C’est une erreur !
Mais Bernard se tourna vers la serveuse. Oui, appelez-les. La pièce se figea. Le regard des clients se tournait vers Marissa, qui maintenant tremblait, ses bras croisés, cherchant à se défendre.
Les policiers arrivèrent peu après, et la situation se dénoua lentement. Après un silence lourd, l’un des policiers se tourna vers Marissa. Ma’am, vous avez quelque chose à dire avant qu’on procède ?
Elle se mordillait les lèvres, son regard fuyant Bernard. Je… Je voulais juste…
Mais elle s’arrêta, réalisant qu’il était trop tard. Ses mensonges s’effondraient devant ses yeux, et la vérité éclata.
Je suis désolée, murmura-t-elle, les larmes aux yeux.
Le policier se tourna vers Bernard : Ma’am, je vous place en garde à vue pour tentative de meurtre.
Malik se tenait là, encore sous le choc, son cœur battant la chamade, mais il savait qu’il avait fait ce qu’il fallait.
Bernard tourna son regard vers lui, sa voix douce mais ferme : Tu viens de sauver ma vie. Je te dois plus que je ne pourrais jamais dire.