Une douleur insupportable traversa tout son corps. Le chien ne pouvait plus se lever, mais ce n’était pas seulement la douleur physique qui le tourmentait. Ce qui le hantait le plus, c’était d’avoir déçu la seule personne qui comptait pour lui. Le choc de la voiture avait laissé sa mâchoire béante, et il ne pouvait plus répondre aux attentes de celui qui s’occupait de lui. Il ferma les yeux et se souvint de tout.
Dans une petite ville hongroise, où les rues étaient emplies de l’odeur du pain frais et des tilleuls en fleurs, la porte du boucher grinça. Une jeune femme, Gabriella, sortit du magasin, et avec elle, l’odeur de l’agneau frais se répandit dans la rue. Un chien errant, affamé depuis plusieurs jours, était assis sur un banc à proximité, reniflant l’air et gémissant faiblement. Ce matin-là, un petit garçon lui avait jeté un morceau de pain au marché, mais cela n’avait pas suffi. Le chien s’arrêta devant la vitrine du boucher, observant longuement.
Gabriella, avec ses yeux doux et son cœur bienveillant, acheta de l’agneau pour son ragoût. En sortant, elle remarqua le regard affamé du chien. Son pelage était éparse, et ses côtes ressortaient sous sa peau. Au début, elle songea à le contourner, mais les gémissements doux, presque inaudibles du chien, la stoppèrent. Il y avait tant de désespoir dans cette voix que son cœur se serra. Sans réfléchir, elle retourna au magasin. À travers la vitre, le chien, la langue pendante, observait Gabriella qui montrait au boucher un gros os avec de la viande encore attachée.
L’os était parfait. Le chien ferma les yeux et s’imagina en train de le mâcher. Perdu dans ses pensées, il ne remarqua pas quand la porte s’ouvrit à nouveau. L’os apparut devant son nez, et Gabriella se tenait derrière, le tenant patiemment.
— “Prends-le, ne sois pas timide,” dit-elle doucement.
Le chien recula, incrédule. Il regarda la femme d’un œil méfiant, mais la faim l’emporta. Il attrapa l’os, mordant dedans avec avidité, et sa queue se mit à tourner comme une hélice. Gabriella sourit et continua son chemin, ne se doutant pas que leurs vies se croiseraient à nouveau. La ville était grande, un labyrinthe de rues et de cours. Mais elle se trompait…
Le lendemain, Gabriella aperçut le chien à nouveau. Il ressemblait à un berger allemand, mais son pelage était en désordre et il portait une étiquette d’errant à l’oreille. Quelque chose dans son regard—fidèle et un peu honteux—lui fit comprendre que c’était le même chien.
Ils étaient loin du boucher, dans un autre coin de la ville. Le chien l’avait-il retrouvé à l’odeur ? Gabriella regarda autour d’elle, hésitante.
Le chien la regarda avec espoir, et elle ne put résister. Bientôt, elle achetait encore de la viande pour lui au marché. Le chien mangeait avec appétit, et Gabriella s’éclipsait rapidement.
Elle ne voulait pas qu’il s’habitue à ça. Ce serait insensé de ramener un chien errant chez elle—elle avait déjà un hamster qu’elle adorait. Mais le matin suivant, le chien l’attendait encore au même endroit.
Lorsqu’elle acheta encore des morceaux de viande pour lui, Gabriella comprit que cela ne pouvait pas continuer. La viande n’était pas bon marché, surtout en temps de guerre, quand les prix étaient à la hausse.
Elle décida de préparer du porridge pour le chien, avec des morceaux de viande.
Le chien l’attendait tous les matins au même endroit. Il s’assoyait sous le vieux marronnier, comme s’il gardait le lieu sacré où il avait reçu de l’amour pour la première fois.
— “Tu es revenu ?” Gabriella sourit en tenant une boîte plastique. “Si tu continues comme ça, je te donnerai même un nom.”
Le chien agita la queue. Gabriella s’assit à côté de lui et ouvrit la boîte. Le chien attendit patiemment qu’elle la déploie.
— “Voyons… du porridge, du foie cuit, et de la peau de poulet. Tu sais, cette peau de poulet n’est pas vraiment adaptée à un régime, mais tu la mérites.”
Le chien commença à manger goulûment mais prudemment.
— “Tu peux te réjouir des petites choses…” murmura Gabriella, puis soupira. “Si seulement mon patron était aussi reconnaissant.”
Le chien leva la tête, comme s’il comprenait. Gabriella sourit.
— “D’accord. On va te trouver un nom. Hmm… appelons-le Zorro. Parce que tu es si mystérieux.”
Zorro. Ce nom lui allait à merveille.
À partir de ce jour, Gabriella allait le voir tous les matins. Le chien ne tentait pas de la suivre, mais il était toujours là. Après un certain temps, on parlait d’eux dans le quartier : “Cette fille aux cheveux noirs et son chien.”
— “Ce n’est pas mon chien,” disait toujours Gabriella, mais elle n’était plus convaincue.
Un soir, Gabriella resta longtemps avec lui.
— “Zorro, je suppose que tu ne viens pas ici juste pour les restes, hein ?”
Le chien posa sa tête sur le genou de Gabriella.
— “D’accord, Zorro. Alors je vais t’emmener… à la maison.”
Zorro ne bougea pas. Il se contenta de regarder Gabriella.
— “Oui, je l’ai bien dit, je vais te ramener chez moi. Mais j’ai aussi un hamster qui vit avec moi. Il s’appelle Bruno. Il est un peu jaloux.”
Le chien lécha la main de Gabriella.
— “C’est ça. Deal conclu.”
Et ainsi commença une nouvelle vie. Au début, Zorro n’avait qu’une place temporaire dans l’appartement de Gabriella. Il reçut une couverture, de l’eau, et les regards choqués de Bruno.
— “Ne me regarde pas comme ça, Bruno. Il ne mangera pas tes graines de tournesol.”
Mais Bruno n’était pas convaincu.
Gabriella partait travailler le matin et Zorro attendait près de la porte jusqu’à son retour.
— “Un jour, ils vont me virer à cause de toi,” soupira Gabriella un jour. “Mais ça ne me dérange pas.”
Sa petite amie, Eszter, essayait de le faire sortir de chez lui depuis des mois.
— “Toi et ce chien ! Sérieusement, tu n’as même pas Tinder sur ton téléphone !”
— “Au moins, Zorro ne ment pas sur sa taille.”
— “Et s’il a un job ?”
“Exactement.”
Ils rirent. Pour la première fois depuis longtemps, Gabriella se sentit comme si quelqu’un l’attendait vraiment à la maison.
Puis vint le jour de la tempête.
Les prévisions annonçaient de la pluie, mais personne ne s’attendait à un vent aussi fort. Gabriella partit chez le vétérinaire avec Bruno, qui était déprimé depuis quelques jours.
— “Reste à la maison, Zorro. Ce sera rapide.”
Zorro n’écouta pas. En chemin, Gabriella se retourna et aperçut le chien derrière elle.
— “Tu dois toujours me suivre, n’est-ce pas ?”
Le vent souffla. L’écharpe de Gabriella fut emportée par une rafale.
— “Ce n’est pas un jeu !” cria-t-elle.
C’est alors que cela se produisit. Le hamster qu’elle portait dans la poche de son manteau se libéra et sauta au sol.
— “BRUNO !!!”
L’animal se dirigea vers un canal. Gabriella se lança à sa poursuite, mais elle n’était pas assez rapide.
— “NON !”
Zorro se précipita en avant. Le chien sauta dans l’eau, là où Bruno disparut. Gabriella se mit à genoux sur le bord du trottoir, en larmes.
— “Zorro, non ! Ne viens pas !”
Mais Zorro était déjà dans l’eau.
Le moment suivant, un gémissement douloureux se fit entendre. Le chien avait été heurté par une voiture alors qu’il revenait vers Gabriella.
— “PEINE !”
Le corps du chien gisait immobile sur le bord de la route. Gabriella courut vers lui. Sa main tremblait en touchant son pelage.
— “Reste avec moi… s’il te plaît…”
La pluie tombait à verse. Gabriella s’agenouilla sur le bord de la route, tenant le corps lourd de Zorro dans ses bras.
— “Zorro, s’il te plaît… ne fais pas ça. Ne me laisse pas ici…”
Le chien gémit. Ses yeux étaient ouverts, mais sans focus.
— “Je suis là. Je suis là avec toi. Tu ne peux pas partir…”
Un vieil homme se tenait à côté d’eux, tenant un parapluie.
— “Madame, faut-il appeler un vétérinaire ? Il y a une clinique au coin de la rue.”
— “Oui ! Oui, s’il vous plaît… tout de suite !” s’écria Gabriella.
L’homme sortit son téléphone. Gabriella se pencha près de l’oreille du chien.
— “Attends, d’accord ? Ils vont t’aider tout de suite.”
Zorro tenta de bouger, mais il ne pouvait que suivre du regard le son.
— “Tu as sauvé Bruno… tu m’as aussi sauvé.”
Quelques minutes plus tard, une voiture blanche arriva, avec les mots “Clinique Vétérinaire Urgences – 24h/24” écrits sur le côté. Deux jeunes femmes en sortirent, l’une se pencha rapidement vers Zorro.
— “Blessure à la hanche… possible hémorragie interne… il faut l’emmener !”
Gabriella ne les laissa pas l’emmener sans elle. Elle tenait la patte de Zorro tout le long du trajet, tandis qu’une assistante vétérinaire lui administrait une perfusion.
— “Attends, mon guerrier…” murmura-t-elle sans cesse.
Deux jours passèrent.
Gabriella était assise dans la salle d’attente de la clinique, portant le même pull qu’elle avait mis en arrivant. Bruno dormait dans son porte-bébé. Les assistantes la connaissaient déjà par son nom.
— “Gabriella, tu peux entrer maintenant. Zorro est stable.”
Gabriella se précipita presque dans la salle de traitement. Zorro était allongé sur un matelas, ses pattes arrière dans des attelles. Sa tête se tourna lentement vers Gabriella.
— “Zorro…”
La queue du chien se remit à bouger faiblement. Gabriella tomba à genoux à côté du lit.
— “Je savais que tu n’abandonnerais pas.”
Le vétérinaire entra derrière eux.
— “Il a eu beaucoup de chance. La voiture a heurté ses organes internes. Son fémur est cassé, mais nous pouvons opérer.”
— “Faites tout. À tout prix.”
— “C’était la réponse attendue.”
Deux semaines plus tard…
Zorro marchait aux côtés de Gabriella sur des béquilles. Le chien, comme un fier petit guerrier, titubait, mais à chaque pas, il prouvait : il voulait vivre.
— “Tu vas aller mieux, tu sais ?” demanda Gabriella. “Et quand tu seras rétabli… on ira dans les collines.”
Zorro s’arrêta et la regarda.
— “Tu sais, parfois je pense que tu n’es même pas un chien, mais quelqu’un que j’ai sauvé.”
Une vieille dame les croisa et dit :
— “C’est un miracle qu’un chien comme ça existe encore. Un vrai trésor.”
— “Je sais.” répondit Gabriella en souriant.
Quelques mois plus tard…
Gabriella tenait un livre dans les mains : L’histoire de Zorro – Un chien errant qui a restauré la foi.
— “Qui aurait cru que j’écrirais sur toi ?” rit-elle, tandis que Zorro rêvait sur ses genoux.
— “Et que des lecteurs écrivent des lettres, disant qu’ils aussi ont reçu une seconde chance grâce à toi…”
Le chien rêvait. Peut-être du vieux marronnier, peut-être du bord du canal, ou simplement du rire de Gabriella.
— “Tu sais, Zorro…” dit doucement Gabriella en le caressant, “Parfois, les animaux savent ce dont nous avons besoin… avant même que nous ne le réalisions.”