Rita croyait à l’amour solide. Mais le silence du soir a fini par tout lui révéler.
Chaque soir, la lumière douce du crépuscule traversait les rideaux fins du salon, dessinant sur le parquet des motifs mouvants. Rita posait machinalement deux assiettes sur la table, mais elle savait déjà que l’une d’elles retournerait au réfrigérateur. Depuis quelque temps, son mari Oleg ne dînait plus avec elle. Il rentrait tard, parfois après minuit, évoquant un surcroît de travail avec une lassitude qui sonnait faux.
Ils étaient mariés depuis plus de dix ans. Une maison agréable en banlieue, des emplois stables, des amis fidèles. Pour leur entourage, ils formaient un couple modèle. Rita y croyait aussi, jusqu’à ce que les signes deviennent trop nombreux pour être ignorés : des oublis inhabituels, un parfum inconnu sur ses vêtements, de nouvelles chemises qu’elle n’avait jamais vues.
Un soir, Oleg reçut un message alors qu’il était sous la douche. Rita ne voulait pas fouiller, mais le prénom inscrit en initiale – « V. » – et les mots “Comme d’habitude ce soir ?” suffirent. Elle ne dit rien. Pas ce soir-là.
Ce n’est que des semaines plus tard, alors qu’elle l’attendait plus tôt que prévu, qu’Oleg se tint enfin devant elle, l’air résolu.
— Je pars, dit-il. Je suis amoureux d’une autre.
Pas de détour. Pas d’excuses. Juste la vérité nue. Rita encaissa sans éclats, sans larmes. Elle lui répondit calmement qu’il pouvait rester cette nuit, mais qu’au matin, elle ne voulait plus voir son ombre dans sa maison.
Il partit. Et le silence, d’abord glacial, devint peu à peu libérateur.
Deux semaines plus tard, Rita apprit, par hasard, qu’Oleg avait été licencié. La mystérieuse Veronika n’était pas qu’un coup de cœur : c’était une vieille connaissance de son collègue Denis. Une complicité existait entre eux, et la trahison dépassait l’adultère. On l’avait manipulé, utilisé, puis abandonné.
Un soir, Oleg revint. Plus le même. Épuisé, humilié, perdu.
— Je n’ai nulle part où aller, dit-il doucement.
Rita l’autorisa à rester sur le canapé. Pas plus. Pas de pardon.
Les jours passèrent. Il vivait désormais comme un invité discret, réparait ce qu’il avait autrefois ignoré, cuisinait pour lui seul, ne demandait rien. Il s’effaçait. Elle l’observait.
Et puis, un jour, il posa devant elle une petite boîte. À l’intérieur, son dessert préféré. Aucune promesse. Juste un geste. Elle le remercia, sans sourire, mais sans colère.
— Ce n’est pas un retour en arrière, dit-elle. Je ne t’ai pas pardonné. Mais c’est bon.
Les semaines devinrent des mois. Elle reprenait sa vie en main. S’inscrivit à des cours de photo. Sortait. Riait parfois. Elle n’attendait plus rien de personne.
Un soir, sur le balcon, elle regardait la ville scintiller sous les réverbères. Oleg s’approcha.
— Je peux m’asseoir ?
Elle hocha la tête.
— Je ne sais pas si je mérite d’être pardonné, murmura-t-il.
Rita tourna lentement le visage vers lui.
— Peut-être que non, répondit-elle. Mais ce n’est plus la question. Je n’ai plus besoin d’attendre que quelqu’un me répare. Je suis déjà en train de me reconstruire.
Dans son regard, il n’y avait ni amertume, ni vengeance. Juste une femme qui avait traversé la douleur… et trouvé en elle-même la force d’avancer.
Ce soir-là, elle ne ferma pas son cœur. Mais elle le laissa fermé à ce qui l’avait brisé.
Et cela suffisait.