Catalina s’approcha si près que Sofia sentit son souffle chaud sur sa peau. Puis, d’une voix tranchante comme une lame, elle murmura :
— « Ton mendiant n’est pas celui que tu crois. Un jour, il t’abandonnera… tout comme il a abandonné les siens. »
Sofia resta figée, le panier tremblant dans ses mains. Son cœur s’emballa, comme si chaque mot avait ouvert une fissure dans sa poitrine. Avant qu’elle puisse répondre, Catalina s’éloigna dans le brouhaha du marché, éclatant d’un rire cruel qui semblait poursuivre Sofia jusqu’au plus profond de son âme.
Les pas de la jeune femme la ramenèrent difficilement à la hutte. Tout le long du chemin, ses pensées tourbillonnaient : que voulait dire Catalina ? Qu’avait-elle voulu insinuer ? Son mari, celui qui lui avait offert douceur et sécurité, cachait-il réellement un secret ? Cette nuit-là, Sofia ne trouva pas le sommeil. Chaque respiration de Mateo à ses côtés devenait suspecte, chaque silence pesait comme une énigme.
Enfin, à l’aube, quand les oiseaux commencèrent à chanter, elle trouva le courage de murmurer :
— « Mateo… dis-moi la vérité. Qui es-tu vraiment ? »
Un long silence suivit. Sofia sentit son corps se tendre, craignant qu’il ne refuse de répondre. Puis, d’une voix basse, presque brisée, Mateo dit :
— « Je ne suis pas ce que ton père t’a dit. »
Le souffle de Sofia s’arrêta net. Ses mains tremblaient, mais elle ne détourna pas le visage.
— « Alors dis-moi… » insista-t-elle, la gorge serrée.
Mateo prit ses mains et les guida vers son visage. Elle parcourut du bout des doigts une mâchoire ferme, une peau marquée de cicatrices qu’elle n’avait jamais osé explorer. Il se laissa faire, comme si ce simple contact était un aveu.
— « Avant de vivre comme un mendiant, j’étais héritier. Je suis né dans une maison riche, puissante… mais ma famille a été détruite. Et celui qui en est responsable n’est autre que ton père. »
Un frisson glacial parcourut Sofia. Elle retira ses mains, comme si elles s’étaient brûlées.
— « Mon père ? Mais… comment ? »
— « Il a trahi mon père, l’a ruiné, et s’est emparé de ses terres. Moi, je n’étais qu’un jeune homme. J’ai tout perdu cette nuit-là. Depuis, je vis loin des honneurs, loin de l’or… Mais jamais je n’ai oublié. »
Les mots de Mateo résonnèrent dans sa poitrine comme un écho insoutenable. Tout ce qu’elle croyait savoir s’effondrait. L’homme qui l’avait humiliée toute sa vie, qui l’avait mariée de force pour se débarrasser d’elle, était aussi l’ennemi juré de son mari. Était-ce un hasard ? Ou une vengeance que Mateo avait dissimulée ?
Sofia sentit les larmes monter, mais ce n’était plus seulement de la douleur : c’était une peur sourde, mêlée à une étrange certitude.
— « Pourquoi ne m’as-tu rien dit ? » demanda-t-elle d’une voix tremblante.
Mateo laissa tomber sa tête contre son épaule.
— « Parce que je voulais être aimé pour ce que je suis, et non pour ce que je possède. Je voulais savoir si tu pouvais voir mon âme, même sans la lumière de tes yeux. »
Les paroles se plantèrent en elle, douloureuses et tendres à la fois. Elle comprit qu’il l’aimait sincèrement… mais aussi que leur union n’était pas le fruit du hasard.
Les jours suivants, Sofia ne parvint pas à trouver la paix. Elle se souvenait des mots venimeux de Catalina, de la révélation de Mateo, et surtout du silence étrange qui planait désormais entre eux.
Et puis vint le dimanche. Le village entier s’était rassemblé à l’église. Mateo, d’ordinaire si discret, avait insisté pour y aller. Main dans la main, ils franchirent le seuil de pierre. Sofia sentit les regards se poser sur elle comme autant de jugements.
Au milieu de la messe, une voix s’éleva derrière eux, forte, impérieuse.
— « Arrêtez ! »
Sofia sursauta. C’était la voix de son père.
Un silence glacial s’abattit sur l’église. Elle sentit Mateo se raidir à ses côtés.
— « Cette union n’aurait jamais dû exister ! » hurla son père. « Tu n’as aucune idée de qui est vraiment ton mari. »
Le cœur de Sofia manqua un battement.
Elle se tourna vers Mateo, qui resserra sa main dans la sienne.
— « Non, Sofia, » dit-il d’une voix ferme, que tout le village entendit. « Il n’a jamais voulu que tu saches la vérité. Mais aujourd’hui, elle éclatera au grand jour. »
Et ce qu’il s’apprêtait à révéler devant tous allait changer leurs vies à jamais…