J’aime Émilien, et il m’aime» — annonça froidement la jeune femme, exigeant un choix entre deux vies

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— J’aime Émilien, et lui m’aime. Nous sommes ensemble depuis longtemps. Il n’a jamais parlé de vous. À chaque fois, il balaye le sujet d’un revers de main, comme si vous n’aviez aucune importance. Je pense qu’il serait juste que vous ne nous dérangiez pas.
— Et alors, à quoi ça t’a servi, ton voyage à l’étranger ? — ricana Émilien. — Dix ans de perdus !
Luc ouvrit la bouche pour répliquer, mais n’eut pas le temps.
— Pas de travail, pas de maison, même plus de femme ! T’es parti il y a dix ans avec les poches vides et tu reviens pareil !
— J’ai vu le monde, — intervint Luc.
— Oh, quelle découverte ! Moi aussi je l’ai vu — à la télé, c’est tout, pas de quoi s’en vanter !
— Pas si sûr…
— Allez, avoue, t’es parti chercher fortune et tu reviens sans rien ! Maintenant, tu dois tout recommencer, tu es comme un jeune diplômé tout juste sorti de l’université !
— Eh bien, là, je ne suis pas d’accord, — dit Luc en levant le doigt. — L’expérience, surtout à l’étranger, ça vaut quand même quelque chose !
— Peut-être chez toi, mais ici, ce n’est pas les mêmes règles ! Moi, — Émilien se redressa fièrement, — j’ai fini mes études et je ne suis pas parti de l’autre côté de l’océan, même si on m’y avait invité ! Non, j’ai choisi de rester dans ma branche, dans une administration publique !
D’abord stagiaire, puis technicien, je suis monté jusqu’à chef d’équipe, et aujourd’hui, voilà, je suis chef de département ! Statut, position, salaire !
— Content pour toi, — dit Luc d’un ton acerbe.
— Et j’ai un appartement, une voiture, et une femme ! En plus, elle a six ans de moins que moi, et elle est une femme au foyer modèle ! Boulettes, pot-au-feu, chemises ! Et elle travaille aussi ! Tu te souviens de … — Émilien réfléchit. — Quand nous avons fini nos études, elle venait juste de commencer sa première année. Marie, la designer !
— Celle avec la tresse ? — demanda Luc, en se souvenant.
— Oui, exactement !
— Calme, posée, réfléchie…
— Oui, et elle l’est toujours. Discrète. Je l’ai prise sous mon aile pour qu’elle n’aille pas traîner dans de mauvaises compagnies.
— Tu l’as prise sous ton aile ou tu es tombé amoureux ? Là, je ne suis pas sûr, — Luc fronça les sourcils.
— Et quelle différence ? — sourit Émilien. — L’essentiel, c’est qu’elle est une femme modèle pour moi ! Elle comprend tout, ne pose pas de questions, fait ce qu’elle doit. Que demander de plus ?
— De l’amour, — dit Luc, comme si c’était une évidence.
— Pour l’amour, j’ai Jeanne ! — Émilien se redressa, tout fier. — Une jeune de 18 ans ! Passionnée ! Active ! Quelle imagination ! Et si je lui demande quoi que ce soit, jamais elle ne me dit non. Là, je suis en train de lui raconter, et déjà je meurs d’envie de la retrouver.
— Eh, Émilien, est-ce que c’est bien ? — demanda Luc. — T’es marié, c’est pas un peu injuste, non ?
— Toi, le défenseur de la morale ! — Émilien s’approcha de Luc. — Et qui a trompé notre pays pendant dix ans avec l’étranger ? — Sa colère laissa place à un sourire et il éclata de rire.
— Va te faire voir, — répliqua Luc.
Il ne s’indignait plus pour lui-même, mais pour les deux femmes que son ami trompait. À l’époque, il était un type bien.
— Luc, souviens-toi de ce slogan : « Pas à la place de, mais ensemble ! » C’est mieux pour moi et pour elles aussi. Une me donne la passion et la jeunesse, l’autre, la tranquillité et le confort. Je pourrais les réunir, mais je pense que ce serait de trop. La polygamie a quand même quelque chose de juste !
Luc ne partageait pas cet avis. Il regrettait même d’avoir décidé de revoir Émilien.
Mais il y avait Marie, la femme d’Émilien, qui, elle, le préoccupait.
Si lui n’était pas parti à l’étranger, il aurait sûrement essayé de la conquérir. Mais dix ans de vie gâchée, ça ne s’efface pas aussi facilement.
— Bon, Émilien, — dit Luc en se levant, — ça a été sympa de te voir ! — mentit-il.
— Faut qu’on remette ça ! — mentit Émilien en retour.

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Émilien se sentait comme un roi. Tout allait bien au travail, Jeanne avait prévu un week-end de détente, l’appartement sentait bon la nourriture, et il avait laissé son vieil ami dans la poussière.
— Et dire qu’à une époque, je t’enviais ! — se rappela Émilien, seul avec lui-même. — T’avais de la persévérance, de la tête sur les épaules, du charme ! Et maintenant ? Rien ! Complètement vidé et envieux, toi !
Émilien était sûr que Luc lui enviait sa vie. Il s’en vantait lui-même ! Qu’est-ce qu’un perdant pouvait bien dire ?
— Pourquoi tu es si tard ? — demanda Marie, en mettant la table.
— Depuis quand tu t’intéresses à mon emploi du temps ? — s’étonna Émilien. — Je ne t’embête pas sur comment faire tes boulettes ou repasser tes chemises !
— Tu devais être là il y a deux heures, — répondit Marie.
— Et alors ? Je dois m’en vouloir ?
— Non, mais…
— Marie, j’en ai assez que des spécialistes viennent me casser les pieds ! Je veux du calme à la maison, de l’ordre, et comment dire… de la paix !
— Très bien, — Marie haussait les épaules et sortit de la cuisine.
Une autre couche de confort pour l’ego d’Émilien.
« Bonne femme ! — pensa-t-il. — Calme, obéissante, serviable, sans conflits. Le modèle du foyer. J’aurais dû la garder dans ce rôle ! »

Au début de leur mariage, Marie n’était pas aussi soumise, mais Émilien n’aimait pas se rappeler cette époque.
— J’ai plus d’énergie pour supporter la stupidité de mon patron ! — disait-il d’une voix lasse. — Je lui explique ce qui est mieux, et il veut même pas écouter.
— Il refuse ce que tu proposes ? — demanda Marie.
— Il n’a même pas voulu y réfléchir. Il m’a dit que tout irait bien sans aucune rationalisation.
— Émilien, fais passer ton idée à l’étage, directement au-dessus de ton patron ! J’ai calculé, ça pourrait économiser près de 20%.
— Oh, je ne sais pas, mes bras tombent.
— Émilien, tu es si fort ! — dit-elle. — Intelligent, courageux, perspicace ! C’est grâce à toi que notre famille tient debout !
Elle l’avait soutenu au début de leur mariage, trouvait des solutions pour ses problèmes. Mais maintenant, Émilien pensait qu’il avait tout fait seul.

Marie vivait dans un tourbillon de travail. Elle avait abandonné son poste en bureau pour devenir une artiste indépendante.
Les commandes pleuvaient, parfois elle devait en gérer jusqu’à cinq en une journée. Mais elle trouvait aussi le temps de s’occuper de la maison.
Elle ne parlait pas de son travail avec Émilien, car il n’avait rien à lui offrir, mais elle pouvait gâcher tout par elle-même.
Un jour, quelqu’un frappa à la porte.
— Vous êtes Marie ? — demanda la jeune femme.
— Oui, c’est moi.
— Je suis enceinte de votre mari, — dit-elle, en tendant des papiers médicaux. — Voilà l’échographie. J’aimerais que vous laissiez Émilien tranquille et que vous vous sépariez. Nous formons déjà une famille. Vous n’avez plus rien à faire dans sa vie !
Marie ferma doucement la porte en souriant.

— Tu as une heure pour faire tes valises, sinon j’appelle la police et tu seras jeté dehors comme un vieux déchet, — dit calmement Marie à Émilien lorsqu’il rentra.
— C’est quoi ce délire ? — s’étonna Émilien.
— Celle qui attend ton enfant t’a bien expliqué ? — dit Marie, en montrant l’heure. — Une heure !
— Mais c’est chez moi !
— Plus pour longtemps, — répondit Marie. — J’ai annulé ton enregistrement ici, comme je suis propriétaire de l’appartement.
Il était trop tard pour revenir en arrière.

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