Juan, le boulanger du quartier, entend une voix timide lui demander du pain… et sa vie bascule en quelques secondes.

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La boulangerie de Juan était célèbre dans tout le quartier. Enfants et adultes s’y retrouvaient chaque jour, attirés par le parfum irrésistible du pain chaud. Juan, toujours souriant, offrait souvent des réductions et des petites douceurs aux plus jeunes, ce qui enchantait les parents.

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Juan avait trouvé refuge en Espagne après avoir fui son pays d’origine, ravagé par une crise économique. Il avait enchaîné les chantiers, les postes de nettoyage, jusqu’au jour où il poussa par hasard la porte d’un petit café oriental. Là, il découvrit une pâtisserie aux arômes épicés et aux formes inédites. Ce fut une révélation. Il rentra chez lui avec une idée : créer sa propre boulangerie, avec sa femme Maria, pour mêler traditions méditerranéennes et souvenirs de son enfance.

Le chemin fut long et semé d’embûches : paperasse, loyers élevés, nuits blanches. Mais la ténacité de Juan porta ses fruits. Des années plus tard, il était devenu père et grand-père, et son amour pour les enfants comme pour les animaux n’avait fait que grandir. Chaque matin, il nourrissait les chiens errants et un vieux chat abandonné, qu’il appelait affectueusement Don Pancho.

Ce matin-là, pendant que Maria surveillait les fournées, Juan sortit avec un plateau de pain rassis pour ses compagnons à quatre pattes. Il leur parlait doucement : « Patience, mes amis. Il y en aura pour tous. »

Mais une petite voix l’interrompit. Une fillette, frêle et timide, tendait la main.

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— Monsieur… puis-je avoir un morceau de pain ?

Elle avait dix ans à peine, les joues creuses, le regard triste.

— Ma chérie, pourquoi du vieux pain ? Viens, je vais te donner du frais, dit-il en souriant.

— Je n’ai pas d’argent… murmura-t-elle, serrant quelques pièces dans sa paume.

— Laisse ça. J’ai une petite-fille comme toi. Attends ici.

Il entra, prépara un sachet de pain chaud, y glissa deux brioches, une pomme et une pêche bien mûre. Il lui tendit le tout :

— Tiens. Assieds-toi sur le banc si tu veux. Prends ton temps.

— Merci… mais je dois y aller, répondit-elle doucement.

Maria, alertée par la scène, sortit et ajouta :

— Sois prudente, surtout seule. Ce monde n’est pas toujours sûr.

Un mauvais pressentiment envahit Juan. Il retira son tablier et suivit la fillette discrètement.

Elle marchait jusqu’à la place du marché, où l’attendait un grand chien à l’allure fidèle.

— Lucky ! Regarde ce que je t’ai apporté ! s’exclama-t-elle.

Le chien remua joyeusement la queue. Ensemble, ils se dirigèrent vers un banc entouré d’une boîte et d’un vieux ballon – leur maison de fortune.

— Prêt, Lucky ? C’est parti !

Le chien exécutait des tours, elle l’applaudissait. Des passants s’arrêtèrent, charmés par ce petit spectacle improvisé. Rires, applaudissements : la place prenait vie.

Après dix minutes, elle fit le tour avec sa boîte. Des pièces, quelques billets y tombèrent. Juan, ému aux larmes, y glissa tout ce qu’il avait sur lui : une liasse de billets, un peu de monnaie.

— Vous avez déjà été généreux… tenta-t-elle.

— Prenez. Vous avez offert de la joie aujourd’hui. Vous êtes des artistes, dit-il.

— Merci… mais il est temps pour nous de rentrer.

— Je peux vous raccompagner ?

Elle accepta. En chemin, elle dit s’appeler Sofia. Elle vivait avec sa mère tout près. Deux ans auparavant, elle avait trouvé Lucky, chiot abandonné, qu’elle avait nourri au biberon.

Ils arrivèrent devant un immeuble modeste. Sofia l’invita à entrer. À l’intérieur, une femme se tenait appuyée au mur, les yeux clos, les mains tendues.

Juan sentit une inquiétude monter. Était-elle ivre ? Non… À la lumière, il comprit : elle était aveugle.

— Je m’appelle Clara, dit-elle doucement. J’ai perdu la vue dans un accident. Mon mari est mort ce jour-là… Sofia a survécu par miracle.

Elle travaillait à l’usine, peinant à joindre les deux bouts. Une opération pour recouvrer la vue ? Un rêve inaccessible.

Juan resta silencieux. Le cœur lourd. Ce jour-là, il comprit que parfois, une simple rencontre pouvait bouleverser une vie. Et qu’avec un peu de chaleur humaine, on pouvait offrir bien plus qu’un morceau de pain.

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